Homélie 10 novembre 2024, 32e dimanche de TO, B
par l’abbé Gaël de Breuvand
1R 17,10-16 ; ps 145 ; He 9,24-28 ; Mc 12,38-44
I – la veuve pauvre, exemple pour Israël
Nous sommes en 830 avant J.-C. et dans le royaume d’Israël et en particulier dans le nord, il y a un grand problème. Ce peuple a été consacré au dieu d’Israël, le dieu d’Israël, le seul Dieu, mais voilà que notre Dieu n’est pas toujours très palpable. Donc autant ménager une poire pour la soif et s’assurer de la sympathie des autres dieux : On va demander à Baal de nous aider, au cas où le Dieu d’Israël nous laisserait tomber ! C’est la situation à laquelle fait face Élie. Et celui-ci répète à torts et à cris : « il n’y a qu’un seul Dieu, faites Lui confiance ». Évidemment cela ne se passe pas très bien, c’est mal reçu par les habitats d’Israël et en particulier le roi et la reine qui elle-même est païenne. Et donc Élie doit s’enfuir, il va vivre dans un torrent et être nourri par des corbeaux car c’est un temps de famine. Mais au bout d’un moment il n’a plus d’eau dans le torrent et il doit avancer en une terre païenne, à Sidon, et c’est l’épisode qui nous est raconté là.
Le prophète – qui n’a rien – vient mendier auprès d’une païenne qui a encore moins. « Donne-moi à manger » ; « si je te donne à manger, nous n’aurons plus rien, nous n’aurons qu’à mourir mais puisque tu me le demandes, je te donnerai, puisque que tu me dis que ton Dieu nous garantit le bien, nous bénira, alors je te donnerai. » Imaginez la païenne qui ne connaît pas Dieu ! Elle fait confiance à ce prophète qui lui promet une parole de bénédiction de la part de ce Dieu qu’elle ne connaît pas. Donc elle fait confiance et elle a tout donné, elle a donné sa vie parce qu’en réalité, avant que cela ne se réalise, elle ne savait pas que la jarre ne s’épuiserait pas, que l’huile ne manquerait jamais, que la farine serait toujours en quantité suffisante. Elle ne savait pas, elle a fait confiance, elle a tout donné. C’est un véritable contre-point par rapport au peuple d’Israël qui lui connaît Dieu et se dit pourtant « on va assurer, on va ménager la chèvre et le chou ».
II – Pas de la générosité, mais la folie du don
860 années plus tard, Jésus est au Temple et Il admire cette pauvre veuve qui est, comme dans l’Ancien-Testament, le type même de la pauvreté. La veuve n’a rien, même plus de mari qui pourrait lui assurer une sécurité matérielle (parce qu’en réalité la veuve dans les temps antiques n’a pas droit à l’héritage qui va aux enfants). Et si ces derniers ne prennent pas soin de leur mère, tant pis pour elle. Ce don, ces deux toutes petites pièces – en réalité, ce sont réellement des centimes qu’elle met – valent bien plus que tout ce que mettent les Juifs. Elle a donné non pas de « son superflu mais de son nécessaire », elle a donné sa vie. Elle a donné sa vie, d’où le cri d’admiration de Jésus : ce n’est pas de la générosité dans le cas-là, la générosité c’est une vertu sociale, on se fait bien voir quand on est généreux. Ce que fait cette pauvre veuve, ne permet pas d’être ‘bien vu’, au contraire, on va être considéré comme des fous à lier. Elle a donné, elle a donné sa vie.
C’est évidemment un appel pour nous : Jésus ne nous demande pas de laisser une ‘petite place à Dieu’ dans notre vie, non Il nous demande de L’accueillir tout entier. « Dieu premier servi » disait Jean d’Arc. Dieu seul servi parce qu’en réalité quand on sert Dieu, on sert tout le reste. On écoute la parole de Dieu en premier, et on se rappelle de dimanche dernier où Jésus nous redonnait le grand commandement « Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est Un, tu l’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et tu aimeras ton prochain comme toi-même ». L’amour vertical, l’amour horizontal, c’est tout un, c’est l’amour de Dieu finalement.
III – la tentation du consacré
Mais l’évangile ne se limite pas à nous donner l’image de cette petite femme qui donne tout et que nous sommes invités à imiter… il nous donne aussi l’exemple de ceux qui sont passés à côtés comme ces scribes. La semaine dernière, Jésus avait félicité le scribe, Il avait admiré sa foi, sa justesse d’interprétation de la Parole de Dieu. Et aujourd’hui, Il dit : « Méfiez-vous des scribes ». Le scribe, c’est celui qui s’est consacré tout entier à la Parole de Dieu, il la médite, il la prie, il l’écrit, la transcrit, il est aussi là pour l’enseigner, pour La donner à ceux qui n’ont pas la capacité de lire ou d’écrire. Et ces scribes ont donné leurs vies à la parole de Dieu mais ils sont rentrés dans la tentation du consacré, de celui qui a donné sa vie : un jour, nous avons donné notre vie ; et puis le temps passe et on en reprend un peu pour nous, quand même : nous assurons la poire pour la soif. C’est la tentation des consacrés, des prêtres, des sœurs aussi, c’est la tentation de ceux qui sont mariés, et des baptisés plus généralement. C’est notre tentation. Cette parole de Jésus est donc pour nous, Jésus nous gronde et nous avons à réinterroger notre manière de vivre par rapport à l’appel du Christ, par rapport à ce que nous avons donné.
C’était peut-être il y a peu de temps comme il y a très longtemps, qu’on en soit à 50 ans ou 6 mois de consécration, de mariage ou d’ordination, le combat est à reprendre sans cesse. Je vous rassure tout de suite, ce combat est perdu, nous n’y arriverons pas ! C’est ce qu’a répondu Jésus à Pierre il y a deux semaines. Mais, à ce compte-là, « qui pourra être sauvé ? » « Personne ! Pour l’homme, c’est impossible mais pour Dieu tout est possible ».
IV – le renouvellement du don
C’est pour cela que la Deuxième Lecture, cet extrait de la Lettre aux Hébreux est un cadeau pour aujourd’hui parce que Dieu nous donne la solution. Comment pouvons-nous répondre aux injonctions, aux appels du Christ ? Il s’agit d’accueillir Son cadeau, Sa grâce, c’est Lui le prêtre par excellence, parce qu’Il offre et Il s’offre Lui-même d’une manière parfaite, une seule fois. Il l’a fait le jour de la crucifixion, Il l’a déployé, manifesté dans Sa résurrection, Il s’est offert au Père et nous, nous qui sommes baptisés, confirmés, consacrés, nous sommes invités à entrer dans cette offrande.
« Par Lui, avec Lui et en Lui », offrons-nous au Père, renouvelons le don que nous avons fait il y a un an, quinze ans, cinquante ans… Si nous sommes mariés, regardons notre mari ou notre femme en pensant : c’est à toi que j’ai donné ma vie pour Dieu. Regardons nos sœurs, parce que vous vous donnez au Christ et par vos sœurs, aimons-nous, aimons Dieu, vivons pleinement cette Eucharistie ! Parce que l’Eucharistie, la messe, c’est exactement ce mouvement d’offrande du Christ qui s’offre au Père et qui nous unis à lui pour être offerts avec Lui. C’est le sens même de la doxologie à la fin de la prière eucharistique : « par Lui, avec Lui et en Lui, à Toi, Dieu le Père Tout-Puissant, dans l’unité du Saint Esprit, tout honneur et toute gloire ». Qu’est-ce que l’honneur et la gloire de Dieu ? C’est Son enfant, nous, qui s’offre au Père. Nous ne pouvons pas le faire, seuls ce n’est pas possible, mais avec Jésus, par Jésus, en Jésus, nous pouvons le faire, cela devient possible.
Alors, au cours de cette Eucharistie, cette action de grâce par excellence, renouvelons notre offrande, notre offrande d’ordonné, de consacré, de marié et, tout simplement, notre offrande de baptisé.