Homélie du 28 juillet 2024, 17e dimanche de TO, B
abbé Gaël de Breuvand
2R 4, 42-44 ; ps 144, Eph 4, 1-6 ; Jn 6, 1-15
Cette année, chaque dimanche nous lisons l’évangile selon Saint Marc. Et aujourd’hui, on change, on fait une petite excursion à travers l’évangile selon saint Jean. La semaine dernière, vous vous en souvenez peut-être, Jésus avait entraîné les apôtres et les disciples de l’autre côté du lac pour prendre un temps de repos, et la foule les avait rattrapés. Et là, face à cette foule, Jésus avait eu le cœur serré : il les avait vus comme des brebis sans berger. Alors il avait commencé à les enseigner, longuement, [ce qui est toujours rassurant pour les prédicateurs !!!]
Et puis effectivement, à ce moment-là, Jésus se prépare, dans l’évangile selon saint Marc au chapitre 6, à faire un miracle : le miracle de la multiplication des pains. Mais l’Église nous propose de le lire non pas chez saint Marc, mais chez saint Jean. Pourquoi ? Peut-être parce que saint Jean profite de ce récit – qui se trouve au début du chapitre 6 chez saint Jean – pour ensuite, tout au long de ce chapitre 6, nous donner une grande prédication de Jésus : grande explication de Jésus, qu’on appelle le « discours du pain de vie ». Et ainsi, tout au long du mois d’août, nous aurons l’occasion de méditer, de prier, et de nous nourrir avec cet enseignement de Jésus, ce discours du pain de vie.
I – Miracles et signes
Aussi bien chez saint Marc que chez saint Luc et saint Mathieu, les évangélistes nous parlent des miracles de Jésus. Un miracle, c’est quoi ? C’est un événement extraordinaire, que nous avons envie d’admirer. « Miracle », et « admirer » : on est bien sur la même racine. C’est quelque chose d’extraordinaire, qui attire notre attention, et qui nous invite à une compréhension, plus fine peut-être, du mystère de Jésus. Mais le problème du terme « miracle », c’est qu’on a un petit peu envie de s’arrêter là… « Oh, regardez, Jésus a multiplié les pains, on va en faire notre roi ! ». Saint Jean, lui, n’emploie pas le terme miracle, il emploie le mot « signe ». C’est intéressant : parce qu’un signe, on ne s’y arrête jamais. Ainsi le panneau de signalisation, un panneau de sens interdit, par exemple. C’est un signe, et ce qui est important, ce n’est pas le panneau. Ce qui est important, c’est que les voitures vont arriver en face, et que nous, il ne vaut mieux pas qu’on y aille ! D’accord ? Le signe que Jésus réalise, cet événement extraordinaire, cette multiplication des pains, n’est qu’un signe. Ce n’est pas ça le plus important. Il y a autre chose à comprendre et à recevoir.
Alors, quel est ce signe ? C’est bien un signe, un miracle, oui.
II – une mise à l’épreuve
Une multiplication des pains, avec Jésus qui, face à cette foule qui a faim, commence par mettre à l’épreuve ses disciples, et en particulier Philippe. Pourquoi une mise à l’épreuve ? Parce que lui, Jésus savait bien ce qu’il allait faire. Mais, quelle est l’épreuve pour Philippe ? Eh bien, cela fait déjà quelque temps, peut-être un an, que les disciples sont à la suite de Jésus, et ils ont commencé à percevoir que ce Rabbi, qu’ils ont commencé à suivre, est un petit peu « hors catégorie » : il est quand même capable de changer l’eau en vin, il est capable de soigner un lépreux. Donc Jésus veut faire grandir Philippe, ou lui donner l’occasion de poser un acte de foi. C’est une épreuve. C’est comme un obstacle que Philippe est invité à franchir. Et de fait, qu’est-ce qu’on voit ? Eh bien Philippe ne le franchit pas… « Où pourrions-nous acheter du pain pour leur donner à manger » ? Oh la la, on n’y arrivera pas ! Le salaire de 200 journées ne suffira pas ! Ça fait une année de travail, quand même… Et puis, même André, qui arrive avec un petit bout de solution : « il y a là un jeune garçon qui a 5 pains et 2 poissons, mais ça ne suffira jamais ! » Et finalement, l’acte de foi, eh bien, d’une certaine manière, il n’est pas là, il manque.
Or, pour qu’un signe ou qu’un miracle s’accomplisse – et c’est vrai tout au long de la Bible, dans toute la Bible en fait, c’est vrai aussi d’ailleurs dans la première lecture, dans ce miracle de la multiplication des pains, déjà que le préfet Élisée avait réalisée en 740 avant Jésus-Christ – pour qu’il y ait un miracle, pour qu’il y ait un signe, il faut d’abord qu’il y ait un besoin. Dans ce cas précis, il faut qu’il y ait que des gens aient faim, et qu’on n’ait pas une solution très matérielle à leur donner. Bon, il y a un besoin. Jésus ne fait pas de miracle ou de signe juste pour épater la galerie, quoi, non, Il a toujours, il y a toujours une finalité, qui est le bien de ceux qui sont là. C’est le premier point.
Le 2e point, c’est que, toujours, pour qu’il y ait un miracle, il faut qu’il y ait un acte libre de l’homme, qui apporte sa pierre à la réalisation de l’événement. Ici, c’est ce jeune garçon : il apporte ses 5 pains et ses 2 poissons, en fait son pique-nique ; il accepte de le donner, et il ne sait pas s’il va le récupérer… Mais si ! En fait, il le récupère au centuple !
Et puis il faut une 3e chose : il faut un acte de foi. Il faut qu’on ait confiance dans l’homme de Dieu qui est là ; à l’époque d’Élysée, on lui apporte un petit peu de pain, quelques pains d’orge, on sait qu’il est un homme de Dieu, il y a une foule qui a faim. Et voilà qu’Elysée réalise ce signe. Là, ici, et bien finalement, ce qui nous manque, ce n’est pas l’homme de Dieu : il est là Jésus, on l’a identifié comme homme de Dieu. Non, ce qui nous manque, c’est la foi. Alors Jésus va quand même accomplir ce signe, parce qu’en fait, la foi, il veut nous la donner. En fait, en sortant du miracle, en sortant de l’événement, la foi aura grandi dans le cœur de ses disciples, dans le cœur de cette foule-là. Ce ne sera pas encore parfait, parce qu’ils voudront faire de lui leur roi, et Jésus sera obligé de fuir, mais on est déjà un petit peu mieux qu’avant.
III – un signe pour deux révélations
Un signe… On disait : un signe, ça veut indiquer quelque chose d’autre. Eh bien, la première chose que Jésus veut indiquer, c’est certainement la Providence de Dieu. Le terme « providence » signifie que Dieu a souci de nous. Dieu a souci de nous, toujours, il nous aime de toute éternité. Il nous a créés pour nous aimer. Il est d’une fidélité absolue. Il est Dieu, il ne nous laissera jamais tomber. Et donc il veut prendre soin de nous, et c’est ça la Providence de Dieu. Et donc il s’agit que nous, nous lui fassions confiance. Il le dira, Jésus le dira, il l’explicitera. Et finalement, ayons confiance. Le Seigneur prend soin de ses enfants : ça, c’est peut-être le premier signe, la première raison du signe, c’est que Dieu est providence, et c’est ce que Jésus veut nous montrer.
Et puis, dans cette multiplication des pains, il y a un autre signe.
Quand on pense multiplication des pains – je ne sais pas pour vous -, mais moi je le mets vite en rapport avec un autre signe, un autre miracle de Jésus, qui est celui des Noces de Cana. La multiplication des pains au chapitre 6, c’est du pain. Et les Noces de Cana au chapitre 2, c’est du vin. Quand on parle de pain et vin et qu’on est chrétien, normalement ça nous parle un peu. Parce que Jésus va reprendre ces 2 éléments, bien plus tard, 3 jours avant sa mort, le jeudi Saint, lors du repas de la Cène. C’est ça que Jésus veut nous montrer. Et en fait, c’est ce qu’on verra dans les semaines qui viennent avec le discours du pain de vie : Jésus, en expliquant ce miracle, ce signe, en expliquant pourquoi il a multiplié les pains, va nous expliquer la Cène, ce dernier repas. Il se donne lui-même en nourriture pour nous. Il a donné tout ce qu’il était. Il l’a offert au Père pour que nous puissions nous même l’accueillir dans nos vies, le manger comme une nourriture qui nous donne force, et qui nous permet d’accomplir ce pourquoi nous sommes faits. La Cène, la Croix, la Résurrection, c’est déjà là dans cette multiplication des pains. C’est déjà là, dans ces noces de Cana, avec la profusion et la générosité de Dieu qui multiplie bien trop : 12 panières remplies, 600 l de vin, 600 l de vin quand même, et d’une qualité incomparable ! C’est un vin bien meilleur que ce qu’on a pu connaître. On n’a pas d’avis sur la qualité du pain, mais on peut penser qu’il était bon aussi. En fait, si on relit l’Évangile en faisant attention aux événements, aux actes de Jésus, on voit qu’un certain nombre sont « signes » et annoncent ce qui va se passer : la Cène, la Croix, la Résurrection. C’est le cœur de notre foi. C’est certainement la raison pour laquelle c’est le lieu des blasphèmes ou des insultes.
IV – Accueillir le signe, accueillir le don
La Cène, la croix, la résurrection. C’est ce que nous vivons aujourd’hui, maintenant : en célébrant la messe, nous nous sommes rendus présents par un acte de la providence de Dieu, nous sommes mis à la table de Jésus avec les 12 apôtres. Nous sommes mis au pied de la croix avec Marie, et nous sommes au tombeau pour la résurrection, avec Marie Madeleine et avec tous les autres. Il s’agit aujourd’hui que nous accueillions ce signe ; oui, ce pain sur lequel je vais dire la parole de Jésus « ceci est mon Corps », eh bien ça ne va pas nous frapper : il ressemblera toujours à du pain, mais nous le savons, il est signe d’une réalité autre, c’est le Corps du Christ ; ce vin, il ne change pas d’aspect, mais ce n’est plus du vin, c’est le Sang du Christ, qui nous est donné comme nourriture pour que nous soyons – et c’est ça la finalité, c’est ça le but – pour que nous soyons nous-mêmes signes : que, quand on nous voit, quand on nous entend, quand nous agissons, nous soyons nous-mêmes des témoins d’une autre réalité. Et cette autre réalité, c’est la réalité de Dieu, Dieu qui nous aime, absolument, sans compter, toujours.
Alors accueillons le don de Dieu dans nos vies, et laissons-nous transformer pour que nous soyons véritablement signes pour notre monde.