Homélie du 3e dimanche de Pâques
14 avril 2024,
par l’abbé Gaël de Breuvand
L’évangile qui nous est donné aujourd’hui, évangile selon saint Luc, ressemble beaucoup à celui que nous avons entendu dimanche dernier : c’était l’évangile selon saint Jean, et c’est normal puisque c’est le même événement : cette première apparition aux disciples réunis dans cette salle haute où ils s’étaient rassemblés par peur des Juifs. Évidemment, saint Jean et saint Luc n’ont pas tout à fait le même objectif, et donc ne présentent pas les événements de la même manière. On peut penser que saint Jean était là, alors que saint Luc raconte ce qu’on lui a rapporté. Mais, cela nous dit quelque chose de vrai, et ils ont un point commun : ils montrent qu’il est difficile de croire Jésus ressuscité.
I – le réel et le conte
Est-ce que la résurrection de Jésus est réelle ? C’est la vraie question pour les disciples, et ça l’est également pour nous. Vous le savez : à peu près une fois par an, dans les médias, dans les revues, dans les journaux, nous avons droit à de grands articles sur : « Jésus est-il vraiment ressuscité ? » Et on a des personnes, comme le philosophe Michel Onfray par exemple, qui répondent que non, c’est un mythe, c’est un conte. Alors, quelle est la différence entre le réel et le conte ? Le réel, c’est ce qu’on expérimente, ce qu’on touche, ce que l’on éprouve. Le réel, on peut le peser, l’évaluer, l’étudier de manière scientifique. Le réel, c’est un monde qui est régi par des lois : il y a des choses que l’on peut faire, et d’autres que l’on ne peut pas faire. Dans le monde réel, je ne peux pas apparaître comme cela au milieu de vous, il faut que j’ouvre la porte et que je rentre. Donc c’est un monde qui a des limites. À l’inverse, le conte n’est pas vraiment en prise avec le réel : on peut inventer toutes sortes de choses. Des contes, il y en a beaucoup, vous en connaissez un certain nombre, mais si, souvent, un conte a des références au réel pour que l’on ne soit pas complètement perdu, il y a des choses qui sont absolument irréelles ; Merlin l’enchanteur, avec la meilleure volonté du monde, n’a pas de prise sur notre monde. Il ne peut pas agir sur nous, et on pourrait dire de même sur Blanche-Neige ou Superman : ils n’ont pas d’impact immédiat sur nos vies. Oui, il y a une valeur au conte : on peut l’intérioriser, cela peut nous donner une leçon de vie, cela révèle quelque chose de nous ; mais la caractéristique du conte, c’est qu’il n’est pas réel.
II – et la résurrection ?
Alors, la résurrection fait-elle partie du réel ou du conte ? C’est la question des disciples ; ils ont peur, ils sont saisis de frayeur et de crainte, ils croient voir un esprit ! Cet esprit, par définition, est irréel. Et Jésus les corrige : « Je suis de chair et d’os, regardez mes mains, regardez mes pieds ». À Thomas, ce qu’Il dit est encore plus fort : « Mets ta main dans mon côté. » Jésus, on Le voit, on Le touche, Jésus mange avec nous, donc Il a une prise avec le réel ; mais, pourtant, Il fait certaines choses dont nous ne sommes capables habituellement : Il est là au milieu d’eux et n’a pas eu besoin d‘ouvrir la porte ; on a du mal à Le reconnaître, et puis Il est ressuscité ! Moi, personnellement, je ne sais pas pour vous, mais je ne connais personne qui est ressuscité. Il est Le seul… Alors, pour Jésus, certains se rassurent en disant que c’est de l’ordre du conte.
Mais nous, parce que nous avons le témoignage des apôtres, des disciples et d’un grand nombre de gens qui ont vu Jésus ressuscité, nous croyons que c’est bien dans l’ordre du réel. Un réel un peu particulier, un surréel, car il dépasse notre réel quotidien. En fait, c’est le réel divin de Dieu – qu’on appelle aussi surnaturel – qui entre dans notre Histoire. Et d’une manière bien plus frappante que ce que Dieu avait bien pu faire avant – parce que le réel divin était déjà entré dans l’Histoire du peuple d’Israël – mais là avec Jésus, c’est la plénitude du divin. Avec Jésus, Dieu entre dans notre monde, Dieu se dévoile, se rend présent à nous : dans notre réel il y a du surréel : Jésus ressuscité. Un monde nouveau commence parce que Jésus est ressuscité ! Dieu jaillit, surgit dans notre monde.
III – un monde nouveau
Ce monde nouveau, troisième et dernier point, quel est-il ? Il est fondé sur le Christ. Nous sommes dans une église, il n’est donc pas surprenant que je vous dise cela, mais quand on dit le Christ, qu’est-ce qu’on entend ? C’était dimanche dernier, celui de la miséricorde et Jésus a dit à Ses disciples, « recevez l’Esprit Saint, les péchés que vous lierez sur la Terre seront liés dans les cieux, ceux que vous délierez sur la Terre seront déliés dans les cieux. » Et là, aujourd’hui, il est écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en Son nom pour le pardon des péchés. Et c’est encore vrai avec saint Pierre dans la Première Lecture « Convertissez-vous donc, tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés. » Ce qui change, avec la résurrection du Christ, c’est que le surréel divin vient à notre rencontre pour nous pardonner. Dieu, tellement au-delà de ce que nous sommes – le réel par excellence, en réalité – vient nous pardonner, et c’est Lui qui fait le premier pas. Et si nous voulons que ce surréel, que ce réel divin, entre dans nos vies, il s‘agit pour nous d’accueillir ce pardon, déjà pour moi, pour chacun de nous : ‘pardonne-moi Seigneur’. Dieu veut me pardonner, Il anticipe cela depuis toute éternité. Il veut me pardonner et aujourd’hui, il s’agit que j’accueille ce pardon dans ma vie, et cela change tout, parce que si je sais que je suis pardonné, je sais aussi que je suis aimé. Si je sais que je suis aimé, je sais que j’ai du prix aux yeux de Dieu en soi, parce que Dieu m’aime. C’est le fondement du texte qui est sorti à Rome, Dignitas infinitas, la dignité infinie de l’homme. Pourquoi est-elle infinie, cette dignité ? Parce que Dieu nous aime ! Ontologiquement, notre être-même est aimé de Dieu.
Et puis, et c’est le dernier point, la conséquence, et c’est aussi l’appel de Jésus pour nous – nous avons compris que Dieu était entré dans notre monde, que Dieu était présent à notre monde et donc à chacun de nous, qu’Il nous accorde le pardon de nos péchés, Il fait miséricorde – nous avons mission, nous, de L’annoncer au monde entier, parce que ce dont crève notre monde, aujourd’hui, c’est de ne pas se sentir aimé. On le perçoit bien sous un certain nombre de rapports, notre société, vous le savez bien, ne va pas bien. Je pense que c’est essentiellement parce qu’on a perdu le sens de Dieu. Nous sommes aimés, chacun de nous est aimé, chacun de nous est perle précieuse, et ils ne le savent pas. Du coup ils cherchent désespérément, tels des hamsters dans les cages, à trouver un sens à leurs vies, et ils ne le trouvent pas, parce que le sens de notre vie, pour pouvoir le comprendre, il faut accueillir ce mystère de la mort et de la résurrection du Christ pour la miséricorde, pour le pardon des péchés.