Homélie du mercredi des cendres,
14 février 2024, par l’abbé Gaël de Breuvand,
Jl 2, 12-18 ; ps 50 ; 2 Co 5,20-6,2 ; Mt 6,1-6.16-18
I – Laissez-vous réconcilier !
Cette deuxième lecture, deuxième lettre de st Paul aux Corinthiens, eh bien, je vais vous dire quelque chose : Je l’aime beaucoup, parce qu’en fait saint Paul dit exactement les sentiments qui sont les miens : « Nous sommes les ambassadeurs du Christ, et nous vous le demandons : laissez-vous réconcilier avec Dieu ».
Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! Nous sommes tous très humains – heureusement ! -, nous ne sommes ni des chats ni des anges, nous sommes des êtres humains, hommes et femmes, et enfants, et nous savons, car c’est inscrit tout au fond de nos cœurs, que nous sommes faits pour aimer, et pour nous laisser aimer.
Nous le savons… Et pourtant, c’est difficile ! Il y a en nous une petite – une petite, ou une grande – force contraire, qui vient caresser notre égoïsme, qui vient tenter notre paresse, qui vient nous pousser dans une quête de plaisirs – là, tout de suite, maintenant ! – et il arrive bien trop souvent – à moi le premier – que nous y plongions, en sachant pertinemment que ce n’est pas le chemin du bonheur. Et lorsque le Seigneur m’appelle, il reste une tentation : car quand je regarde Dieu face à face, je vois son grand amour, son immense amour, et comme je ne suis pas du tout à la hauteur de cet amour-là, je peux avoir encore une fois une tentation : celle de faire un pas de recul, de ne pas approfondir la relation avec Lui, celle de rester à distance…
Alors écoutons saint Paul : « laissez-vous réconcilier avec Dieu ». Parce que Dieu veut notre bonheur et notre joie, et qu’Il nous pardonne ! Il ne se lasse pas de nous pardonner ! C’est Lui qui peut changer nos cœurs ; en fait, si on essaie de changer nos cœurs par nous-mêmes, on ne va pas y arriver… c’est officiel, on le sait, ça fait des années qu’on essaie, ça fait des années qu’on rate ! La seule manière d’avoir le cœur changé, d’avoir un cœur où il ne reste plus que ce qui compte vraiment – autrement dit aimer – c’est de se laisser réconcilier avec Dieu, par Dieu. C’est Lui qui vient : « au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je t’ai secouru », « le voici aujourd’hui le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut ».
II – la conversion, chemin si difficile
Aujourd’hui, nous pouvons décider ; parce que Dieu, qui nous a créés sans nous, ne nous sauvera pas sans nous. Il a besoin de notre accord, il a besoin de notre coopération ; mais, c’est Lui qui sauve ; alors aujourd’hui, nous n’allons pas décider de nous sauver : nous allons décider de nous laisser sauver : accueillir le don de Dieu dans nos vies.
Et ce ne sera pas confortable… Lorsqu’on reprend un texte plus ancien, le prophète Joël, il nous invite – c’est Dieu qui parle, encore – « Revenez à moi de tout votre cœur, revenez à moi de tout votre cœur. Tournons-nous vers le Seigneur. Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements ». Vous le savez, déchirer ses vêtements, dans les temps anciens, c’était une façon de dire qu’on voulait changer de vie. D’une certaine manière, on le fait encore aujourd’hui : il y a des changements radicaux de vie qui impliquent un changement de vêtements. (D’ailleurs c’est ce que j’ai fait : le jour où je suis devenu prêtre j’ai changé de vêtement).
Mais, de fait, on, le voit bien, ce n’est pas ça qui compte : qu’est-ce que nous dit Dieu ? Ce qui compte, ce n’est pas ce qui se voit : ce qui compte, c’est ce qui est au fond de notre cœur. Alors, « déchirez non pas votre vêtement, mais déchirez votre cœur ». Et la proposition que nous fait Dieu, elle n’est pas très confortable ; il nous appelle à faire un pas de plus : accepter des choses qu’on n’a pas envie d’accepter. Vous l’entendez, le commandement du Seigneur : aime, « aimez-vous les uns les autres comme Moi je vous ai aimés ». Et comment Jésus nous a aimés ? En allant jusqu’à mourir sur une croix pour nous. Non, ce n’est pas confortable ! En donnant tout pour la joie et le bonheur de ceux qui nous entourent. Ecoutons-le, le commandement du Seigneur qui nous dit : « aime ton ennemi ». Et nous, on a un peu envie de lui dire : ah, Seigneur, tout, mais pas ça : je veux bien aimer le monde entier, mais pas lui…
De fait, l’appel du Seigneur, pour nous, n’a pas de limite ; et on perçoit bien qu’on n’est pas à la hauteur et qu’on n’y arrivera pas. C’est bien pour cela qu’il faut nous tourner sans cesse vers le Christ ; et tout cela sera donné, tout cela est donné… Vous avez entendu Jésus : « ce que vous faites pour devenir des justes » : oui il est bon de faire des choses pour devenir des justes, pour être ajustés au projet de Dieu pour nous ; mais nous savons bien qu’en faisant telle chose nous ne nous sauverons pas : non, nous laisserons à Dieu la possibilité de nous sauver : nuance !
III – Entrer en carême, c’est mettre Dieu au 1er plan
Alors on peut faire l’aumône, autrement dit partager ; et il est bon de partager ! Je ne sais pas pour vous, mais moi je suis peut-être un peu radin : chaque fois que je donne, ça me fait un peu mal… Mais ce n’est pas grave : parce qu’une fois que j’ai donné, c’est joyeux !
Quand vous priez, faites-le vraiment ! pas pour vous faire voir, non, pour établir une relation d’amour : j’écoute le Seigneur, et Lui, je sais qu’Il m’écoute. Et je ne sais pas pour vous, mais moi je suis peut-être un peu paresseux, parce que quand je prie, j’ai surtout envie de m’arrêter de prier… Mais, quand je l’ai fait, la joie est donnée !
Et pour moi le pire, c’est jeûner : accepter de renoncer à quelque chose auquel j’ai droit – parce que j’ai le droit de manger ! J’ai même droit de me faire plaisir en mangeant…- Mais je suis invité à renoncer à ce droit, par amour ; pour apprendre à me commander moi-même. Et là encore, je n’ai aucune envie de jeûner… Mais je le fais, et j’y trouve ma joie ! Je vous dis ça, mais ça ne veut pas dire que je réussis tout le temps…
Mais le Seigneur, Lui, il ne s’intéresse pas tellement à l’apparence : Il veut notre cœur. Il veut notre cœur, parce qu’Il veut le combler d’amour. Quelques-uns d’entre nous étaient il n’y a pas très longtemps à Paray-le-Monial ; et à Paray-le-Monial, Jésus s’est montré, a montré son Cœur brûlant d’amour, celui qui est représenté sur le vitrail, mais on est le soir, donc on ne le voit pas. Jésus, un Cœur brûlant, brûlant d’amour, et qui veut nous brûler de cet amour, de ce feu-là, qui sera pour nous le feu de la vraie joie et du vrai bonheur : il s’agit d’accueillir Jésus dans nos vies.
Alors peut-être, pendant les trois jours qui viennent – en fait, mercredi, jeudi, vendredi, jusqu’à dimanche, d’une certaine manière, le Carême n’est pas encore vraiment commencé, on est un petit peu sur la piste d’échauffement – pendant ces trois jours, prenons un temps, et choisissons quelques petits points concrets : un petit temps de prière chaque jour, que je pourrais poser dans ma journée, pas besoin que ce soit très long, mais un petit moment dans ma journée où je tourne mon regard vers le Seigneur ; un petit effort, puis un petit partage, une petite générosité, une petite attention à l’autre, chaque jour ; et puis un petit effort sur moi-même…
Pendant ces trois jours, c’est le bon moment pour les choisir, et les décider, de telle sorte que, dimanche, on puisse les présenter au Seigneur ensemble : « voilà mes efforts, Seigneur ». Peut-être que je n’y arriverai pas, et il y a des moments où je vais oublier… Mais ce n’est pas grave : le tout, c’est de s’y remettre, le tout, c’est de se tourner vers le Seigneur. C’est Lui qui nous aime, c’est Lui qui nous sauve !