Lorsque Jésus se contredit (!?)

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Homélie du 31e dimanche de TO A,
par l’abbé Gaël de Breuvand,
le dimanche 5 novembre 2023,

Ml 1, 14b – 2, 2b.8-10 ; ps 130 ; 1 Th 2, 7b-9.13 ; Mt 23, 1-12 ;

Lorsque le prophète Malachie prend la parole, nous sommes cinquante ans après le retour d’exil. Le temple a été reconstruit, le peuple est sur sa terre. Il n’y a pas de roi, mais, de toutes façons, la théologie du peuple d’Israël est que le seul vrai roi, c’est Dieu. C’est d’ailleurs ce qui nous est redonné aujourd’hui : « Je suis un grand roi, dit le Seigneur » et nous le savons, Il est même Le grand roi. Et Malachie, au nom du Seigneur, a une parole un peu sévère…même pas qu’un peu, d’ailleurs, contre les prêtres du temple de Jérusalem.

Aujourd’hui, il n’y a plus de prêtres au temple de Jérusalem ; alors on pourrait se demander : « pourquoi cette lecture ? » « À qui s’adresse-t-elle, aujourd’hui ? » En entendant cela, il est facile de se dire : cela concerne les prêtres, notre curé est bien dans cette catégorie-là ! Or, si nous réfléchissons quelques instants à ce que nous avons reçu le jour de notre baptême, nous sommes nous-mêmes, tous, par le baptême, prêtres. Autrement dit, notre mission est de faire le pont entre la Terre et le Ciel. Nous sommes missionnés pour réunir la prière du monde, et la présenter à Dieu. Nous sommes missionnés pour accueillir la Parole de Dieu, et la transmettre. Donc, en réalité, ce texte ne s’adresse pas seulement aux 400 000 prêtres qu’il y a sur la Terre, mais aux 2,5 milliards de chrétiens ! et donc il s’adresse à chacun de nous… Nous sommes tous invités à nous laisser secouer par cette parole.

I – Ne donnez à personne le nom de ‘père’.

Et, 500 ans plus tard, Jésus prend la parole, et on a l’impression que rien n’a changé. Il s’adresse à qui ? Il s’adresse aux foules et aux disciples. Et les disciples d’aujourd’hui, c’est encore nous ! Qu’est-ce que fait Jésus ? Il nous surprend, c’est une parole qui est un peu étonnante : « Ne donnez à personne sur Terre le nom de père », et pourtant, nous n’arrêtons pas de le faire : on pense aux prêtres, au pape, puisque cela signifie « papa », nous appelons nos pères respectifs, « père », « papa », et Jésus lui-même, quand Il s’adressait à Joseph, on peut penser qu’Il l’appelait « abba » ou « abbouna ». Cela paraît presque contradictoire !

En réalité, Jésus veut nous mettre en garde contre une tentation qui est tapie au fond de notre cœur, que nous portons tous, qui est la tentation de l’orgueil. Il s’agit pour chacun, – et ce n’est pas une question de sexe -, de nous rappeler que la mission que nous avons reçue, que la responsabilité que nous portons, que ce que nous sommes, finalement, nous le recevons. Je ne suis pas père grâce à moi-même, je ne suis même pas intelligent grâce à moi-même, je ne suis pas beau grâce à moi-même, je ne suis pas cultivé grâce à moi-même : je le suis parce que j’ai reçu cela du seul Père, de l’unique Père qui me fait participer à Sa mission, à Son Être. Et donc, oui, je suis père, mais je dois toujours me rappeler que c’est le Père du ciel qui me donne cette caractéristique, et que ma manière d’être père – ou mère – doit refléter Dieu lui-même.

II – Être comme Dieu, car nous avons tout reçu de lui

Finalement, quand on voit un chrétien, on doit voir Dieu. Ce n’est pas si évident… Alors penchons-nous quelques instants sur la manière dont Dieu est père, rabbi, maître, enseignant. Et cela nous est donné : « Mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. » Voilà comment Dieu a choisi d’être pour nous père. Il le manifeste par Sa tendresse, par Sa consolation, Il le manifeste en étant pour nous un éducateur, un ‘éleveur’. En fait, Il veut nous faire grandir. Et saint Paul reprend la même notion, les mêmes mots : « Nous avons été plein de douceur avec vous, comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons. » Voilà la véritable autorité : en latin « auctoritas », c’est celui qui fait grandir, c’est la même racine que « augmenter ». Augmenter et autorité, c’est la même chose. Celui qui a reçu l’autorité, il a reçu la mission de faire grandir. Et Il doit le faire à la manière de Dieu, avec beaucoup, beaucoup d’amour.

Cette autorité, tous autant que nous sommes, nous en sommes participants, cela peut être dans nos familles, dans l’église, dans nos entreprises, dans la société, dans nos associations. Chacun de nous a une part de cette autorité, chacun de nous est invité à la vivre en véritable chrétien, conscient que c’est un « cadeau » que nous avons reçu pour participer, pour être coopérateur de l’Œuvre de Dieu. Oui, il s’agit d’accueillir l’autorité, parce que c’est ce qui nous fait grandir. Il s’agit d’exercer avec justesse et justice notre autorité, pour que les autres puissent grandir. Nous la connaissons, cette tentation, et à l’écoute du texte, nous entendons bien tout cela : nous entendons bien qu’il ne faut pas tomber dans le piège de l’orgueil, être bien conscient que ce que nous sommes, nous l’avons reçu de Dieu.

III – un appel à la conversion

Mais il y a un deuxième piège dans ce texte : cet autre piège, c’est de ne pas regarder soi-même, mais de regarder son voisin, en disant « ahha, regardez-le, il se fait appeler maître, père, ce n’est pas bien » ; or, en faisant cela, je passe exactement à côté de l’enseignement de Jésus : je ne reçois pas ce que Dieu veut me donner. La seule chose que nous pouvons changer dans notre monde, ce ne sont pas les autres, c’est nous-mêmes, avec la grâce de Dieu. Parce que, nous-mêmes, tout seuls pour nous maîtriser, nous contrôler, nous faire grandir nous-mêmes, non, nous ne sommes pas assez forts pour cela !  C’est bien pour cela que le Christ est venu au milieu de nous, c’est bien pour cela qu’Il nous donne, encore et toujours, Sa présence dans l’Eucharistie, pour que nous Le recevions, que nous recevions Sa grâce et Sa force, pour que nous puissions grandir comme des bonnes plantes, ayant de bons tuteurs, et que nous accomplissions ce pour quoi nous sommes faits. Nous sommes faits pour être, par Jésus, avec Jésus, en Jésus, des prêtres, des prophètes et des rois. C’est le dernier mot de Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui : « le plus grand parmi vous sera votre serviteur. »

Être le plus grand, c’est ce que je nous souhaite à tous, je nous souhaite d’être le plus ‘augmentés’ possible, ayant reçu le bon engrais du Bon Dieu tout au long de notre vie ; il s’agit que nous prenions la position du serviteur, un serviteur qui a reçu une responsabilité, une mission, un serviteur qui est le vrai roi, à l’image de Jésus jusqu’à donner Sa vie pour ceux qui Lui sont confiés. Cette mission-là, elle est pour chacun de nous, et c’est le moyen, pour nous, de trouver la vraie joie et le vrai bonheur.