Homélie abbé Gaël de Breuvand, le 27 août 2023
21e dimanche de TO A.
Is 22,19-23 , Ps 137, Rm 11,33-36, Mt 16,13-20
I – Fils de l’homme
Qui est le Fils de l’Homme ? L’expression elle-même pose question. Jésus l’emploie très souvent pour parler de Lui-même : c’est la neuvième fois dans l’Évangile selon saint Matthieu. En revanche, personne ne parle de Lui comme étant le Fils de l’Homme. Alors pour un Juif qui entend cette expression, cela le renvoie immédiatement à une prophétie du prophète Daniel, qui déclare : « J’ai vu un Fils d’Homme approcher du trône et recevoir la puissance, la gloire et la royauté. »
Un fils d’homme qui reçoit la puissance, la gloire et la royauté, c’est un titre qui désigne un roi. Et puis, en utilisant ce terme – et même un peu plus précis, car chez Daniel, c’était « fils d’homme », et Lui, il dit Fils de l’Homme – cela nous fait comprendre, qu’Il est homme, pleinement homme ; en fait, Il l’est tellement complètement, qu’Il est l’Homme parfait, l’Homme par excellence, Il est l’homme qui a accompli le projet de Dieu. « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. » Et vous le savez bien : sur cette terre, si chacun de nous est l’image de Dieu, nous avons bien du mal à parcourir notre chemin vers la ressemblance… Lui, Jésus, est image et ressemblance de Dieu tout entier, forcément Il est Dieu, donc, comme homme, Il est parfaitement à l’image de ce qu’Il est, Il n’est pas schizophrène. Il est le seul homme sur la terre à être, en vérité, à l’image et à la ressemblance de Dieu, dans une ressemblance accomplie.
Pont : Jésus pédagogue
Jésus, depuis quelques mois, quelques années, a commencé à enseigner, et Il a été identifié d’abord comme un de ces nombreux pédagogues, enseignants itinérants qui vont sur les places, dans les synagogues, annoncer le royaume de Dieu. Il n’était pas le seul, il y avait déjà eu Jean-Baptiste, pas très longtemps auparavant, et puis à l’époque c’était un peu la mode des interprètes de la parole de Dieu ; et c’est bien comme cela qu’Il est d’abord identifié, comme un rabbi. Et Il a quelques disciples, ce sont ceux qui ont les oreilles ouvertes, ceux qui écoutent. Il a appelé les disciples et Il enseigne, et vous le savez, Il alterne entre les grands enseignements à des foules, et puis les petites rencontres, ou juste avec les disciples, pour leur dévoiler les mystères du royaume des cieux. Et aujourd’hui, nous sommes partie prenante d’un moment où Il est en petit groupe, juste avec Ses disciples. Or Il emploie une méthode pédagogique qui ressemble à celle de la maïeutique, de Socrate, qui a été largement reprise ensuite, puisque c’est la manière d’enseigner que l’on trouve au Moyen Âge occidental, en particulier chez saint Thomas d’Aquin : je pose une question, je vois les limites de la question, et j’essaie, en creusant la parole de Dieu, de déployer et de donner une réponse concrète.
II – Messie
Donc nous sommes partie prenante de ce temps d’enseignement privé, et Jésus commence par une question large : pour les gens, aux dires des gens, qui est le Fils de l’Homme ? Et nous entendons la réponse, et tout le monde est d’accord, le Fils de l’Homme est un Messie, c’est un « choisi » de Dieu. L’expression « fils d’homme », je vous le disais, désigne plutôt un roi, mais la réponse des disciples, en parlant des gens, est celle-ci : pour les gens, c’est Jean le Baptiste, qu’on a considéré comme un prophète ; pour d’autres, Élie qui est l’un des grands prophètes puisqu’il a rencontré Dieu sur la montagne, ou Jérémie, ou d’autres prophètes. En tous les cas, quand on voit Jésus, on pense d’abord à un prophète, ce qui est une ligne de force dans l’Ancien Testament : quand on pose la question « quel est le Messie qui doit venir ? », une des réponses c’était : le prophète. Une autre réponse qu’on rencontre beaucoup dans la vie de Jésus, c’est : le roi, le fils de David, puis enfin il y a une troisième réponse que l’on retrouve moins dans l’Évangile mais plus dans les lettres de saint Paul, c’est : le prêtre.
Et à la question « pour vous ? » – c’est une question que nous pouvons tous prendre à notre compte : pour moi, qui est Jésus ? – Pour vous qui suis-je ? Pierre répond, et sa réponse est la plus parfaite que l’on puisse donner : tu es le Christ, autrement dit, tu es le Messie – cela veut dire la même chose – tu es l’oint de Dieu, tu es le choisi le Dieu. Quand Pierre dit cela, cela implique qu’il englobe tout : tu es prêtre, prophète et roi. Tu es – et là c’est là qu’arrive la bombe nucléaire – « Tu es le Fils du Dieu vivant. » Est-ce que Pierre a une perception ajustée de ce qu’il dit là ? Pas sûr, la suite le montre : quand Jésus annonce qu’Il va mourir, Pierre lui dit qu’Il ne devrait pas dire cela. Et Pierre va entendre « Passe derrière moi, Satan ». Il faudra la Résurrection pour que cela trouve pleinement son sens. Mais, en disant cela, Pierre croit quand même, il dit quelque chose qu’il pense vrai. Nous-mêmes, quand nous affirmons « je crois en Dieu » à huit ans, quand nous affirmons « je crois en Dieu » à quarante ans, et quand nous affirmons « je crois en Dieu » à quatre-vingts ans, est-ce que cela veut dire tout à fait la même chose ? On peut espérer que non, parce que nous progressons dans notre relation avec le Seigneur, et nous Le connaissons mieux.
III – L’Église
À cette parole « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », on sent la joie de Jésus. « Heureux es-tu, Simon, fils de Jonas, ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, c’est mon Père qui est aux cieux. » Pour proclamer une vérité sur Dieu, une vérité de Dieu, il faut que Dieu l’infuse dans notre cœur. Cette parole « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », ce n’était pas humainement concevable. Habituellement, quand on va chercher dans les mythologies diverses et variées, les fils de Dieu, ce sont des demi-dieux ; mais Jésus n’est pas un demi-dieu, Il est Dieu et Il est homme, pleinement homme, parfaitement homme. C’était inconcevable, et voilà que Pierre l’affirme. « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », réjouissons-nous avec Jésus : « Heureux es-tu ». La Béatitude de Pierre, c’est : heureux es-tu, parce que tu as proclamé publiquement la foi. Cette béatitude est pour nous aussi !
Et Jésus poursuit, avec cette parole que nous connaissons bien « tu es Pierre et, sur cette pierre, Je bâtirai mon Église. » Il se trouve que Pierre a été enterré à Rome, à proximité du cirque de Néron, et il se trouve qu’aujourd’hui, l’autel de l’église Saint-Pierre est sur son corps. Et quand le texte sur la coupole dit « tu es Pierre et, sur cette pierre, Je bâtirai mon Église », il valide cette réalité de manière très matérielle. Et c’est étonnant parce qu’au XVIe siècle, lorsqu’on bâtit cette coupole, on ne sait pas que Pierre est en-dessous !
Pour autant, vous le savez, c’est bien plus fort, c’est bien au sens spirituel que Pierre devient la pierre de fondation. C’est la foi qu’il a proclamée qui fait de lui la pierre de fondation. Et c’est la mission qu’il recevra, qui sera plus détaillée ensuite par Jésus, d’être celui qui « confirme ses frères », celui qui rappelle la vérité sur Dieu, celui qui fait l’unité. Pierre est le garant de l’unité de l’Église, et ses successeurs portent cette mission à sa suite. Pierre, et c’est peut-être le plus beau titre du pape, est serviteur de Dieu. Chacun de nous est appelé à être serviteur de Dieu, lui est le serviteur des serviteurs. Sa mission est de faire grandir l’unité. Alors, l’unité ne se fait pas en mode associatif, il ne s’agit pas de se mettre d’accord pour bien s’entendre, d’abord parce qu’à 1,5 milliard on n’y arriverait pas. Non, il s’agit de nous tourner, tous, dans la même direction. Et la même direction, c’est Dieu : par Jésus, en Jésus, avec Jésus. Nous nous tournons vers Lui et nous proclamons la foi que Pierre a proclamée. Oui, nous croyons en Dieu qui aime, qui est amour, qui m’aime, qui vous aime, qui nous aime chacun, personnellement, et Dieu nous a fait un don immense pour que nous puissions répondre à Son amour : Il nous a fait le don de la foi. La foi, c’est cette connexion qui est établie, c’est un lien personnel, individuel, à Dieu et nous pouvons par cette connexion recevoir la tendresse de Dieu, l’amour de Dieu, la vérité de Dieu, la fidélité de Dieu. Et cette foi, nous sommes invités à être partie prenante pour la faire grandir.
IV – Croitre dans la Foi
Alors, comment faire pour grandir dans la foi ? Il s’agit d’abord, évidemment, de prier, et il s’agit de travailler. La foi est ancrée dans notre intelligence. Il s’agit donc de creuser le mystère de Dieu, de rouvrir la Parole de Dieu, de rouvrir la pédagogie avec laquelle l’Église nous transmet cette parole, donc le catéchisme. Et si je ne fais que prier, je risque de me tromper de cible, de ne plus m’adresser à Dieu mais à une figure que je me serais inventée. Et si je ne fais que travailler et que je ne prie pas, le risque c’est d’avoir une perception de Dieu complètement sèche, une statue, une idole… Il s’agit de prier, de travailler, il s’agit d’aimer : d’aimer Dieu de tout mon cœur, de toute ma force, de tout mon esprit.
C’est ce à quoi vous appellent les papes, et le pape François aussi. C’était l’un des leitmotivs des quinze jours de ces JMJ : retravailler le cœur de notre foi. Et ce cœur, vous le savez, le cœur de la foi, c’est l’Amour. Alors, avec Pierre, avec toute l’Église, proclamons notre foi et écoutons la joie de Dieu, la joie du Christ, accueillons la béatitude qu’Il nous promet.