Quand Jésus nous bouscule

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Homélie du 2 juillet 2023, 13e dimanche de TO A,
par l’abbé Gaël de Breuvand,
à l’occasion du baptême de Gaspard.

2R4, 8-11.14-16a ; ps 88 ; Rm 6, 3-4.8-11 ; Mt 10, 37-42

Nous sommes dans l’évangile selon saint Matthieu. J’ignore si vous le savez : l’évangile selon saint Matthieu a cinq grandes parties qui se constituent toujours de la même manière : d’abord un ensemble de signes, de miracles, d’événements, suivi d’un grand discours de Jésus. Et là, nous sommes au chapitre 10, et c’est le deuxième grand discours de Jésus. Et aujourd’hui, autant le premier discours s’adressait aux foules, à tous ces Juifs qui ne connaissaient pas Jésus, autant ce discours-là s’adresse spécialement aux apôtres, à ceux qui ont été appelés, à ceux qui ont déjà commencé à Le suivre ; autrement dit, ce discours s’adresse tout particulièrement… à nous !

I-                  Un ordre dans l’amour

Alors, nous l’entendons, le début de cet évangile commence déjà à nous frotter un peu les oreilles : « celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. » c’est envisageable… « Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi », et là parfois ça nous titille… Alors, peut-être qu’il faut relire avec un peu plus d’attention : il n’est pas dit qu’il ne faut pas aimer son fils ou sa fille, il n’est pas dit qu’il ne faut pas aimer son père ou sa mère ; il nous est demandé par le Christ de mettre en premier Jésus, Dieu. C’est d’ailleurs le premier des commandements « Écoute Israël Ton Dieu, ton Dieu est Un, tu L’aimeras de toute ton âme, de tout ton cœur, de tout ton esprit et de toute ta force et – ensuite – tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

Il y a un ordre dans l’amour : on est tous d’accord dans les relations humaines, il y a un ordre, il est normal que j’aime plus mon mari ou ma femme que mon voisin, sinon ça pose question ! Il y a un ordre dans l’amour, mais l’amour, et en particulier de Dieu, n’est jamais exclusif, bien au contraire. Il s’agit d’aimer mieux Dieu, pour aimer mieux mon mari, mes enfants, mes proches et tous ceux qui sont autour de moi. IL s’agit d’aimer mieux ceux qui sont autour de moi, pour aimer mieux Dieu. Il y a une sorte de cercle vertueux : plus j’aime, plus j’aimerai. Mais, en tous les cas, dans l’ordre, et c’est l’appel de Jésus : l’ordre, c’est Dieu en premier. C’est la phrase de Jeanne d’Arc : « Messire Dieu premier servi », et lorsque je sers Dieu, alors je sers véritablement mes frères.

C’est radical, cela implique de nous convertir, de savoir lâcher prise. Dans quelques instants, je vais interroger Gaspard : ses parents, parrain, marraine, vont répondre en son nom, je vais l’interroger et je vais lui demander : est-ce que tu renonces à Satan, est-ce que tu rejettes le péché, est-ce que tu choisis de mettre Dieu en premier dans ta vie ? Normalement, il me répondra qu’il rejette Satan, qu’il croit en Dieu, autrement dit qu’il veut adhérer, qu’il veut dire oui ; parce que nous sommes faits pour ça : dire oui.

II-                La récompense que nous attendons : la joie de l’Amour

Jésus nous invite aussi à avoir un regard sur ceux à qui nous sommes envoyés, Il nous envoie pour mettre les choses dans l’ordre, mais Il nous invite aussi à regarder celui à qui nous sommes envoyés. « Celui qui vous accueille », ce n’est pas un disciple, celui-là, ce n’est pas un apôtre, c’est quelqu’un de la foule, c’est quelqu’un du monde qui vous accueille, « m’accueille , et accueille Celui qui m’a envoyé ». De fait, nous sommes envoyés au monde, à la foule, pour être des porteurs d’un trésor, pour que nous transmettions ce trésor : c’est Dieu lui-même, c’est Dieu tout entier, c’est Dieu qui aime, Dieu qui est amour. Et vous l’avez entendu, il y a même une récompense pour celui qui nous accueille. « Celui qui accueille quelqu’un en sa qualité de prophète recevra une récompense. »

Une récompense de prophète… et c’est la raison pour laquelle nous avons entendu la Première Lecture. Élisée va dans le pays de Sunam, c’est un pays où il n’y a pas tellement de Juifs, et la femme riche de ce pays, n’est pas Juive, c’est une Sunamite, et elle accueille le prophète Élisée chez elle, et elle met les petits plats dans les grands pour l’accueillir. Une récompense va lui être donnée, elle va avoir un enfant, alors qu’elle était dans l’espérance d’enfant depuis très longtemps. C’est la promesse d’Élisée, mais dans cette promesse, car il faut lire le chapitre en entier, tout n’est pas dit. Mais vous vous en doutez, avoir un enfant c’est une grande joie, mais c’est aussi de grands problèmes. Et cette femme-là, qui vient de recevoir un enfant qui lui est donné comme la récompense de son service au profit du prophète, va avoir des difficultés, et une en particulier, car cet enfant va mourir… ce qui est certainement la plus grande des difficultés que les enfants donnent à leurs parents.

De fait, cette récompense que Dieu donne à cette femme, n’est pas une sinécure, n’est pas confortable, car il va falloir qu’à nouveau cette femme pose un acte de foi : elle va appeler Elysée, elle va lui demander de guérir son fils, et plus précisément même de le relever ; effectivement Elysée va ressusciter cet enfant.

Grande confiance dans le Seigneur, mais qui ne garantit absolument pas que cette vie sera confortable. Dans quelques instants nous allons baptiser Gaspard : c’est la vie de Dieu qui lui est donnée. C’est le plus beau cadeau qui puisse être fait à quelqu’un, mais je peux vous promettre que sa vie ne sera pas un long fleuve tranquille, il ne sera pas juste confortable, ce ne sera pas juste paisible, il y aura des épreuves, des difficultés, des deuils, des souffrances, des maladies : tout cela, ça va venir.

Mais toutes ces épreuves-là – c’est vrai pour nous tous qui sommes baptisés – parce que nous sommes plongés dans l’amour de Dieu, nous savons qu’elles peuvent prendre un sens, et c’est ce que Paul nous livre : le sens de la mort et de la souffrance. En soi, il n’y en pas. Dans l’ordre, dans le projet de Dieu, le projet n’est pas la mort ni la souffrance, mais c’est là, parce que Dieu nous a laissé la capacité d’aimer, Il nous a laissé la liberté de choisir le Bien ou de choisir le Mal ; puisque nous avons ce choix, la souffrance et la mort sont entrées dans notre monde. Et Jésus vient, et Lui aussi affronte la souffrance et la mort, mais la manière dont Il les affronte, le fait qu’Il entre dans la souffrance et dans la mort, en aimant, par amour, pour aimer, va changer tout. Nous savons – puisque nous en avons l’exemple de Jésus – qu’il est possible d’aimer au-delà de la mort. Et donc si on aime, on est vivant. « Lui qui est mort, c’est au péché qu’Il est mort », une fois pour toutes.

III-             Mourir à soi-même

Le péché, c’est justement une mort, une mort à la relation, à l’amour. Jésus, lui, quand Il meurt, meurt au péché, et donc Il rend la vie. Et Il nous fait cadeau de cela. Ainsi, par le baptême, nous avons été rendus capables de vivre en vérité, d’aimer et de nous laisser aimer. Et nous allons le manifester dans quelques instants parce que l’eau qui est là a plusieurs symboliques : avec l’eau, on connaît bien la symbolique de la vie, on connaît bien la symbolique de la purification, mais il faut savoir que c’est aussi un symbole de mort. Parce que dans l’eau, on se noie ; parce qu’au moment du baptême – et c’est quelque chose que nous devons revivre chaque jour – nous sommes avec le Christ plongés dans la mort ; parce que nous sommes comme le peuple qui sortait d’Égypte, qui n’était même pas encore un peuple. À la suite de Moïse, il franchit la mer Rouge, et il meurt à son égoïsme, et il devient, en sortant de la mer Rouge, un peuple qui se met à chanter et qui peut rendre gloire à Dieu. Mourir à notre propre égoïsme : je pense que, dans notre vie chrétienne, c’est ça le point le plus difficile. Ce n’est pas du masochisme, mais c’est croire que notre égoïsme est le plus grand obstacle pour la victoire de la vie dans notre monde ; notre égoïsme est le plus grand obstacle pour la victoire de la paix de notre monde.

Alors, il s’agit de reprendre chaque jour la décision de mourir à notre égoïsme, et de mourir un petit peu plus pour celui-là qui est prêtre, pour celui qui est là près de moi, que ce soit ma femme, mon mari, mes enfants, mes parents, que ce soit celui que je croise chaque jour, le pauvre comme le riche… C’est là le cœur de notre mission : baptisés, nous sommes faits pour aimer, nous sommes faits et envoyés en mission pour prêcher cet amour, nous sommes faits pour servir, par amour, nous sommes faits pour rendre gloire à Dieu, par amour, ce qui correspond à « prêtre, prophète et roi ». Nous sommes envoyés par le Christ pour témoigner de son amour pour le monde, pour chaque homme, nous sommes envoyés. Il s’agit pour nous de répondre à cet appel.