Un mémorial pour grandir en amour

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Homélie abbé Gaël de Breuvand
Ce texte est la transcription d’une prédication orale
Dimanche 11 juin 2023
Dt 8, 2-3.14b-16a ; ps 147 ; 1Co 10, 16-17 ; Jn 6, 51-58

I – Mémorial

« Seigneur Jésus Christ, dans cet admirable sacrement, Tu nous as laissé le mémorial de Ta Passion » ! c’est le début de l’oraison de la première prière de la messe, celle qui nous donne le sens de la liturgie. « Tu nous as laissé un mémorial », alors réfléchissons un tout petit peu à ce que signifie ce mot.

Un mémorial, il y en a justement un dans la Première Lecture : « Moïse disait au peuple d’Israël souviens-toi. » Un mémorial, cela fait forcément appel à la mémoire. Mais ce n’est pas simplement un souvenir, ce n’est pas simplement quelque chose qui est passé et qui est mort. Bien au contraire ! Dans toute la tradition biblique, parce que Dieu est Dieu, dans toute la tradition chrétienne, parce que Dieu incarné, Jésus, est venu habiter au milieu de nous, le mémorial est plus qu’un simple souvenir. C’est la mise au présent d’un événement qui est arrivé une fois dans l’Histoire. Le mémorial par excellence, c’est quand on fait mémoire de la Passion et de la Résurrection du Christ, et c’est ce que nous faisons à chaque messe.

À chaque messe, nous sommes rendus présents par un acte de la bonté de Dieu, à l’événement de notre Salut, à l’événement de la mort de Jésus en Croix, à l’événement du Dernier Repas de Jésus, à l’événement de la Résurrection, et à l’événement de l’Ascension, et encore à l’événement de la Pentecôte. Voilà, pensez-y. Je cite [très librement] le pape quand il faisait une catéchèse sur la messe, il y a quelques années maintenant, il disait : « lorsque nous participons à la messe, nous sommes présents à la mort du Christ en Croix. » Et le pape continuait : « oui, réfléchissez-y bien : la messe, c’est l’événement de notre Salut, Jésus meurt sur la Croix pour nous, notre cœur est blessé avec le cœur du Christ blessé. Cela va impliquer une certaine disposition du cœur. » Et là, je rajoute : et nous sommes aussi présents à la Résurrection du Christ, et cela va impliquer la grande joie de la Résurrection. Si nous fermons les yeux pendant la messe et que nous entendons cette parole « Ceci est Mon corps », c’est le Christ qui parle, et nous sommes présents à la Cène, nous sommes le treizième apôtre. Si nous fermons les yeux et que nous entendons « Ceci est Mon sang », nous sommes au pied de la Croix avec Jean et Marie, et nous accueillons le don de Dieu. Mémorial. Les Juifs en avaient pris l’habitude, ils célébraient la Pâques pour rendre présent l’événement de libération du peuple par Dieu. Aujourd’hui, nous faisons mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur pour que nous puissions accueillir la Résurrection dans nos vies. C’est la suite de la prière : « Seigneur Jésus Christ dans cet admirable sacrement, Tu nous as laissé le mémorial de Ta Passion, donne-nous de vénérer d’un si grand amour le mystère de Ton Corps et de Ton Sang, que nous puissions sans cesse goûter au fruit de la Rédemption. » Que cette Résurrection vienne habiter en nous.

II – Devenez ce que vous recevez

Ce mémorial s’accomplit par décision de Dieu, par une parole du Christ. Cette parole, que l’on va encore entendre tout à l’heure « Ceci est Mon Corps donné pour vous, ceci est Mon Sang versé pour vous », elle a une efficacité absolue : c’est Dieu qui parle, et quand Dieu parle, cela s’accomplit, de la même manière que quand Il dit « que la lumière soit », la lumière « fut ». Et c’est un mystère que nos yeux ont du mal à voir. Ce petit morceau de pain, même pas très bon, garde toutes les apparences de ce petit morceau de pain, même pas très bon. Ce vin, qui est un peu meilleur, lui, garde toutes les apparences du vin, au point que si j’en bois trop, il y aura des conséquences ! Et, pourtant, c’est le Corps du Seigneur, c’est le Sang du Seigneur qui nous est donné, et que nous sommes invités à accueillir dans nos vies et en vérité. Jésus le dit : « Je suis le pain vivant, Je vous donne ma chair à manger » … C’est une parole tellement forte que le public qui L’écoute à ce moment-là, la foule va être scandalisée : ‘quoi, il nous demande d’être cannibales ?’ Et ils vont quitter Jésus : non, c’est trop ! Et Jésus ne va pas les retenir en disant :  ‘hop hop hop, attendez, c’était une façon de parler…’ Non, au contraire, Il se tourne vers Ses disciples et Il leur dit : « Vous allez partir, vous aussi ? » Et Pierre répondra, au nom des autres, « C’est Toi qui as les paroles de la Vie éternelle ».

Nous sommes invités à manger le Corps du Seigneur, à boire le Sang du Seigneur. Ce n’est pas qu’une façon de parler. Alors, à la fois il y a des grandes similitudes avec la nourriture : « C’est un pain de la route », c’est ce que nous disait encore la Première Lecture de Moïse ‘comme la manne, c’est le pain du combat quotidien, celui qui nous permet d’avancer chaque jour, jour après jour.’ Mais, alors que le pain naturel, lorsque nous le mangeons, nous le transformons en nous ; eh bien, ce Pain de Dieu, ce Corps du Christ, lorsque nous Le mangeons, Il nous transforme en Lui. Nous devenons un peu plus Christ, chrétiens. Nous devenons un peu plus Amour, un peu plus Corps du Christ. « Devenez ce que vous recevez », nous disent les pères de l’Église. Devenez le cadeau que vous recevez. Un pain de la route qui nous permet de vivre chaque jour, d’accueillir l’amour dans nos vies, pour que cet amour puisse déborder de nous.

III – La finalité : que l’amour grandisse

C’est le troisième point. Lorsque nous fêtons l’Eucharistie, nous fêtons aussi le lieu par excellence de la communion. Le but de l’Eucharistie est de nous mettre en lien, en relation. La finalité de l’Eucharistie, c’est que grandisse en nous la Charité, l’amour même de Dieu. Et, chaque fois que je communie, avec mon cœur, mon intelligence, toute ma volonté, cet amour de Dieu en moi grandit. Et je deviens un peu plus capable d’aimer Dieu, je deviens un peu plus capable d’aimer mes frères, parce que c’est pour cela que je suis fait. Que l’amour en nous grandisse. C’est le thème de la Deuxième Lecture. Saint Paul, au chapitre 10 de la Lettre aux Corinthiens, vient – comme il le fait chaque fois – secouer les Corinthiens, parce qu’ils font n’importe quoi : ils célèbrent l’Eucharistie et, après, il y a un repas partagé, et chacun a apporté son pique-nique, et surtout on ne le partage pas… Et les pauvres, eux, n’ont rien à manger, et les riches, eux, ont la peau du ventre bien tendue et sont à moitié saouls ! Donc, Paul leur dit : vous n’avez rien compris ! « L’Eucharistie que nous recevons, la coupe des bénédictions, le pain que nous rompons, n’est-ce pas communion au Corps et au Sang du Christ ? » Or, le Corps du Christ, par la grâce de Dieu, parce que l’Esprit Saint nous a été donné, c’est chacun de nous. Nous sommes tous les membres d’un même corps. Alors, si je communie au Christ, au Corps et au Sang du Seigneur, à l’Eucharistie qui m’est donnée, et que je n’ai aucune intention d’établir un lien privilégié avec le Seigneur ou avec mes frères, peut-être vaut-il mieux m’abstenir de communier. C’est saint Paul qui le dit.

Alors c’est un appel, non pas à nous abstenir de communier – au contraire ! – mais à nous laisser convertir. Quand je viens recevoir le Corps de Dieu – étonnant, cette parole ! – le Seigneur veut me donner le meilleur : Il se donne à moi tout entier pour que je puisse déployer tout ce que ce pour quoi je suis fait, pour que je puisse déployer pleinement mon être ; et mon être, c’est d’aimer et de me laisser aimer. Alors au cours de cette messe, nous allons communier, peut-être pour la première fois, la deuxième fois, la troisième fois, la quinzième fois, la millième fois, mais communions comme si c’était la toute première fois, comme si c’était la toute dernière fois, comme si c’était la seule fois.