Les béatitudes, chemin ouvert par Jésus

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Homélie 29 janvier 2023, par l’abbé Gaël de Breuvand
4e dimanche de TO, A.
So 2,3 ; 3,12-13 ; ps 145 ; Col 1,26-31 ; Mt 5,1-13

I – Le premier appel de Jésus

« Heureux les pauvres de cœur car le Royaume des cieux est à eux », c’était le refrain du psaume, c’est aussi le début de l’Évangile du jour, cet Évangile, qui est le deuxième mot de Jésus. Dans l’Évangile selon saint Matthieu, Jésus ne parle pas beaucoup au cours des quatre premiers chapitres. Ce sont les évangiles de l’enfance ; et puis, Il est baptisé, et Il commence alors sa mission, et son premier mot est : « Convertissez-vous ». L’appel de Dieu, l’appel du Christ, n’est pas forcément très confortable, parce que se convertir, changer de direction, changer de voie, on n’en a pas toujours très envie… On n’est pas mal, on s’organise une petite vie avec une petite coquille, et tel le Bernard-l’hermite, on n’a pas tellement envie d’en sortir ! Mais voilà, le Christ veut, pour nous, bien plus qu’une petite vie confortable, et Il nous le dit : « Heureux », voilà le projet de Dieu pour nous : Il veut que nous trouvions la joie et le bonheur.

Et Jésus nous ouvre une piste de réflexion. Quand on prend l’Ancien Testament et qu’on demande à Dieu : ‘mais quel est le chemin du bonheur et de la joie ?’ la réponse, ce sont ce qu’on appelle les « Dix Commandements ». En français, on a l’impression que c’est un peu le doigt sur la couture, et qu’on obéit : « oui chef ». En réalité, ce sont des paroles de vie, qui nous donnent une direction. Avec des paroles positives, et beaucoup de paroles négatives : voilà ce que vous ne ferez pas. C’était la réponse de Dieu telle que l’homme était capable de la comprendre à l’époque de l’Ancien Testament. Et l’Ancien Testament, cela dure 2000 ans. Peu à peu, le cœur des hommes s’ouvre, du moins on l’espère, et Dieu avance. Pédagogue, Il nous donne peu à peu des éléments supplémentaires, et voilà qu’Il nous envoie Jésus : premier appel : « Convertissez-vous », donc, reprenons l’Ancien Testament, reprenons les Commandements, parce que ce sont des chemins de bonheur.

II – Le paradoxe du chemin du bonheur

Et puis, Il nous donne une sorte une nouvelle charte de vie. Moïse a reçu les Commandements sur la montagne, et Jésus nous donne les commandements sur la montagne, aussi. D’une montagne à l’autre… Et il y aura une troisième étape : ce sera la Pentecôte, lorsque l’Esprit Saint est donné justement le jour de la fête du don de la Loi. L’Esprit Saint est donné pour que nous puissions entrer véritablement dans le projet de Dieu. Par l’Esprit Saint, nous devenons capables d’amour comme Dieu, nous devenons fils de Dieu. Puisque nous sommes fils de Dieu, alors nous devenons partie prenante du projet. Alors, « heureux ».

Heureux, ceux qui auront un travail qui les glorifiera, qui les enrichira… ? Ah non, ce n’est pas cela ! non, « heureux les pauvres. » Heureux, ceux qui seront toujours dans la joie, qui se marreront bien avec leurs potes… ? Ah non, ce n’est pas cela… « heureux ceux qui pleurent » On pourrait continuer… Le projet, le chemin que nous propose le Christ, est un peu bizarre, un peu paradoxal. Heureux le pauvre : c’est celui qui n’a rien, le pauvre, et s’il est pauvre de cœur, c’est peut-être qu’en plus il n’est pas très malin… Il est un peu fou… Celui qui est pauvre de cœur, c’est d’abord celui qui a de la place pour les autres dans son cœur, car, quand on est riche, il n’y a plus de place, quand on a tout, on n’a besoin de rien, et surtout pas des autres. Sartre l’a très bien exprimé – [ironique !] Sartre, grand théologien, on le sait bien – : « L’enfer, c’est les autres » … Et non : il n’a rien compris ! D’ailleurs un autre philosophe (Gabriel Marcel) avait répondu à Sartre en disant : « eh bien non, pour moi, les autres, c’est le Paradis ».

Parce que nous sommes faits pour être en relation, et cette relation n’est possible que si nous acceptons de considérer que, sans les autres, nous ne sommes rien ; que si nous acceptons de considérer que, sans Dieu, nous ne sommes rien. Alors, je me souhaite, je nous souhaite, d’être un pauvre, un mendiant d’amour, capable de d’accueillir l’amour de l’autre, même s’il n’est pas exactement comme j’aimerais. Évidemment, ce que je dis va bien, spécialement aujourd’hui où nous avons quelques couples qui se préparent au mariage. Être un mendiant de l’amour…

III – Dans les Béatitudes, tout est cadeau

Toutes ces béatitudes – c’est comme cela qu’on les appelle, parce qu’elles rendent bienheureux – cela peut nous donner l’impression que, si nous les avons, nous sommes dans le bonheur, et que si nous ne les avons pas, tant pis.

Ce que je veux vous dire, c’est que, dès aujourd’hui, le Christ nous fait cadeau de cela. En réalité, le pauvre de cœur, il l’est parce qu’il le reçoit en cadeau. Je pleure, parce que je le reçois en cadeau. Je ne pleure pas sur moi-même : c’est lorsque je compatis, lorsque je peux voir la laideur des actes que je pose, lorsque je suis capable de me repentir : ce pleur qui souffre de la souffrance de l’autre, c’est ce pleur-là qui est béni. Cette douceur à laquelle nous invite Jésus, cette soif de faim et de justice, du fait que les choses soient dans l’ordre, tout cela est déjà don de Dieu. Lorsque nous recevons l’amour de Dieu, nous devenons capables de cela. Cela ne veut pas dire que nous le faisons effectivement…

En fait, un auteur, André Chouraqui, qui est Français et Israélien – il est Juif mais a quand même traduit l’évangile – traduit ce « heureux » par « en marche ». Mettons-nous en marche, parce que, le cadeau nous est donné, mais il faut qu’on l’accueille. C’était dans la prière juste après le Gloire à Dieu : nous avons demandé quelque chose de particulier aujourd’hui, nous Lui avons demandé de nous accorder la capacité de L’adorer, Lui, Dieu. Autrement dit, d’avoir une relation ajustée, un cœur à cœur ; « adorer », en latin « ad » signifie se tourner vers, « ore », c’est la bouche. C’est lorsque je tourne ma bouche vers Dieu, lorsque je laisse Dieu tendre Sa bouche vers moi. Cœur à cœur. Adorer Dieu, c’est poser mon cœur contre Son cœur. Moi, je n’en suis pas tout à fait capable par moi-même, mais c’est un cadeau que je demande à Dieu : accorde-moi, Seigneur, la capacité de T’adorer. Et, deuxième cadeau qui va avec, on ne peut pas les séparer : donne-moi une vraie charité pour les autres, pour mes frères : pour vous qui êtes là, pour ceux qui sont dehors ; une vraie charité à la manière de Dieu, un amour qui donne et qui ne compte pas. Un amour qui ne compte pas ! « Heureux les miséricordieux, heureux les cœurs purs, les artisans de paix », tout cela, c’est cette charité-là, cette capacité d’adorer Dieu, cette capacité d’aimer à la manière de Dieu. C’est un cadeau que Dieu veut nous faire, notre travail, notre mission, c’est d’accueillir le cadeau.

IV – la promesse au présent

Cet évangile se termine par une promesse, une promesse dont nous pouvons nous réjouir, car elle est déjà donnée : la plénitude n’est pas encore rentrée dans nos vies, mais, c’est sûr, « réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux. » « Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse ». C’est dès aujourd’hui que nous pouvons nous réjouir, parce que Jésus est venu, Jésus nous a enseigné, Jésus S’est donné et Il nous apprend à donner de même, à nous aimer les uns les autres, comme Lui nous a aimés. Il nous apprend, pas à pas, à parcourir le chemin des Béatitudes. Peut-être faut-il prendre le temps de travailler un peu ce texte, qui n’est pas si facile, et qui nous invite à accueillir Dieu, jour après jour, pour mieux accueillir les autres, jour après jour. Il s’agit d’aimer : c’est le combat de notre vie, c’est la seule chose qui compte, c’est la seule chose que nous emporterons au Paradis.

Et l’amour, c’est concret, cela se traduit par des paroles, des actes, par des services rendus, par des paroles valorisantes, par des temps privilégiés partagés ensemble, par des cadeaux, donnés et reçus. Petite proposition, chaque matin, je me réveille, j’ouvre les yeux, je peux commencer par le signe de la Croix : « Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. » Qu’est-ce que c’est ? Je me couvre de l’amour de Dieu, j’ouvre la porte au Seigneur : ‘ bonjour Jésus, Tu es là. Et moi, je veux être là avec Toi. Aujourd’hui, je veux T’adorer, parce que je sais que Tu m’aimes’. C’est la première partie. Et puis, la deuxième partie, c’est que ‘aujourd’hui, il y a quelqu’un près de moi, ou dans la chambre d’à côté, quelqu’un que je veux aimer en Ton nom. Aujourd’hui, je vais lui donner un peu de joie, je vais me mettre à son service’. Un acte, juste aujourd’hui, une décision très concrète. Vous verrez, ce n’est pas si facile de la prendre, on a tendance à procrastiner, y compris en amour. Je le ferai demain… Non, c’est aujourd’hui qu’il s’agit d’être saint.

Et je vous laisse sur une parole du pape Jean XXIII, vous la connaissez peut-être, c’est une prière qu’il disait chaque matin : « Aujourd’hui, Seigneur, donne-moi d’être saint. » Pas demain, pas après-demain, aujourd’hui. Donne-moi d’être attentif aux autres, d’avoir le cœur ouvert, aujourd’hui, juste aujourd’hui, parce que demain s’occupera bien de demain, aujourd’hui, que nous soyons tous des saints !

En annexe : la prière de saint Jean XXIII

« Rien qu’aujourd’hui, j’essaierai de vivre ma journée sans chercher à résoudre le problème de toute ma vie. Rien qu’aujourd’hui, je prendrai le plus grand soin de me comporter et d’agir de manière courtoise ; je ne critiquerai personne, je ne prétendrai corriger ou régenter qui que ce soit, excepté moi-même. Rien qu’aujourd’hui, je serai heureux sur la certitude d’avoir été créé pour le bonheur, non seulement dans l’autre monde mais également dans celui-ci. Rien qu’aujourd’hui, je consacrerai dix minutes à une bonne lecture en me rappelant que, comme la nourriture est nécessaire à la vie du corps, de même la bonne lecture est nécessaire à la vie de l’âme. Rien qu’aujourd’hui, je ferai une bonne action et n’en parlerai à personne. Rien qu’aujourd’hui, j’accomplirai au moins une chose que je n’ai pas envie de faire, et si on m’offense je ne le manifesterai pas. Rien qu’aujourd’hui, je me plierai aux circonstances, sans prétendre que celles-ci cèdent à tous mes désirs. Rien qu’aujourd’hui, j’établirai un programme détaillé de ma journée. Je ne m’en acquitterai peut-être pas entièrement, mais je le rédigerai. Et je me garderai de deux calamités : la hâte et l’indécision. Rien qu’aujourd’hui, je croirai fermement — même si les circonstances attestent le contraire — que la Providence de Dieu s’occupe de moi comme si rien d’autre n’existait au monde. Rien qu’aujourd’hui, je n’aurai aucune crainte. Et tout particulièrement je n’aurai pas peur d’apprécier ce qui est beau et de croire à la bonté. Je suis en mesure de faire le bien pendant douze heures, ce qui ne saurait me décourager, comme si je me croyais obligé de le faire toute ma vie durant. Ainsi soit-il. »

Saint Pape Jean XXIII (1881-1963)