Homélie 6 novembre 2022 – 32e dimanche de TO C, par l’abbé Gaël de Breuvand ;
2 M 7, 1-2.9-14 ; ps 16 ; 2 Th 2, 16-3, 5 ; Lc 20, 27-38
ce texte est la retranscription d’une prédication orale.
Les saducéens, et les prêtres de Jérusalem, presque tous Saducéens, ne croient pas en la résurrection, et ils s’approchent de Jésus pour Lui tendre un piège : ils lui donnent une histoire un peu délirante pour voir comment Jésus s’en sort.
I – le dévoilement de la Résurrection
À l’époque de Jésus, il y a débat : « est-ce qu’il y a Résurrection ? » Et pourquoi y-a-t-il un débat ? Parce cette idée de résurrection des morts, c’est quelque chose qui est relativement récent dans la foi d’Israël. En fait, pendant des millénaires, on a d’abord perçu à quel point l’homme était un, de corps et d’âme : nous sommes une seule réalité, voulue par Dieu, mais nous sommes un. Et, du coup, quand le corps meurt, il n’y a pas de raison pour que l’âme continue d’exister. C’était cela, la pensée traditionnelle chez les Hébreux.
Et puis au cours des âges, on réfléchit plus sur cette question, et on perçoit mieux la fidélité de Dieu : Dieu nous a créés vivants, et Il nous veut vivants. Et c’est à ce moment-là que l’on va commencer à penser à l’immortalité de l’âme. Si l’âme est immortelle, le corps, un jour ou l’autre, devra retrouver son âme, et réciproquement, parce que nous sommes toujours un, de corps et d’âme ! Il s’agit d’entrer dans une forme de cohérence : si Dieu nous aime, Lui qui est fidèle, Il nous aimera toujours, et nous ne serons pas séparés, ni découpés en morceaux, il n’y aura pas d’un côté l’âme et de l’autre le corps. Un jour viendra où nous serons un, comme nous le sommes maintenant. En fait, mieux que maintenant…
Et Jésus vient confirmer cette perception relativement récente, on en a des traces explicites dans la Première Lecture : à l’époque de la persécution du roi Antiochos, les sept frères croient que les tortures qu’on leur inflige ne comptent pas tant que ça, puisqu’il y a la Résurrection. Nous sommes en 180 avant J.-C ! Et voilà que Jésus confirme cette foi en la résurrection : oui, il y a la résurrection, puisque Dieu est le Dieu des vivants et non pas des morts. Quand on reprendra la Bible tout entière, quand on relira les passages importants, qui ont un siècle, deux siècles, dix siècles, on découvrira qu’il y avait déjà un nombre de pierres d’attente. Par exemple le psaume, qui est beaucoup plus ancien que l’Évangile et la Première Lecture, disait « Au réveil, je me rassasierai de ton visage », et on parle bien de résurrection. Mais pour pouvoir le comprendre, il a fallu que Jésus vienne le confirmer.
II – Dieu nous veut vivant
Dieu est le Dieu des vivants, et non pas des morts. C’est même l’un des titres de Dieu. Dieu est Le Vivant. Le Vivant par excellence. De tout ce qui existe, s’il y a une chose qu’on peut appeler vivante, c’est Dieu. Et la question qui se pose est : qu’est-ce que c’est que vivre ? Vivre, est-ce seulement une question de respiration, de mouvement, de nourriture ? Non, parce que Dieu n’a pas besoin de tout cela. Vivre – c’est également vrai dans notre monde – ce qui est vivant, c’est ce qui est en relation. Pour être vivant il faut être en relation, et celui qui est mort, c’est celui qui n’est plus en relation. Dieu est le vivant. Il est le Vivant ultime, le plus parfait des vivants, le plus complet des vivants, parce qu’Il aime de la meilleure façon qui soit, Il aime ! Il aime, ce qui est la plus belle des relations. Et nous, qui sommes des êtres humains qui avons été créés à l’image de Dieu, nous sommes faits pour vivre de la même façon, pour aimer, pour nous donner tout entiers et pour accueillir pleinement. Aimer : c’est un travail que d’aimer, c’est un travail que d’être vivant ! Finalement, on peut continuer à respirer, on peut continuer à se nourrir et à se déplacer et, en réalité, être déjà mort, ou presque. Et à l’inverse, quand la mort physique vient, nous le savons, la relation n’est pas éteinte, parce que Dieu est fidèle, et qu’Il veut pour nous la vie.
III – L’amour au singulier de Dieu
Alors nous entendons Jésus nous confirmer cela : il y a résurrection, nous sommes faits pour être vivants ; et dans sa réponse cela frotte un peu : car elle nous pose des difficultés, cette réponse de Jésus : « Les enfants de ce monde prennent femme et mari, ceux qui ressuscitent ne prennent ni femme ni mari, ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu, ils sont enfants de la résurrection. » Et là, grande inquiétude : quand on a vécu un mariage d’amour, lorsqu’on a vécu une relation particulière avec ses enfants, ou avec des amis, on se dit : alors, tout cela ne compte pour rien ? C’est une lecture qui est souvent faite… Mais ce n’est pas cela que nous dit Jésus. Il ne nous dit pas que l’amour terrestre ne compte pas.
Pourquoi est-ce qu’on entre dans cette erreur, pourquoi est-ce qu’on se dit que si on n’est plus marié au ciel, cela veut dire que les autres on ne les aime plus ? Parce que moi, sur la terre, quand je dis « j’aime », j’ai en réalité deux manières d’aimer les personnes. J’ai un amour particulier, spécifique, exclusif, d’une manière qui ne peut pas être interchangeable, ou interchangée, avec telle ou telle personne. Mon mari est mon mari, et ma femme est ma femme, mon enfant est mon enfant, mes parents sont mes parents. Cet amour-là est bien spécifique, oui, d’une certaine manière, exclusif. Je ne vais pas aimer ma voisine comme ma femme, ni mon voisin comme mon mari – enfin j’espère ! Et puis, il y a tous les autres, ceux qui sont un peu plus loin, moi je veux aimer toutes les personnes sur la terre… mais cet amour-là est un peu distant, un peu lointain, pas très palpable. C’est une forme de philanthropie, un a priori positif sur les personnes. Mais du coup, lorsque nous nous projetons au ciel, dans la vie d’après, on a tendance à se dire : puisque nous avons tendance à aimer tout le monde, on va faire rentrer tout le monde dans la même catégorie, celle des « autres », ceux qui sont un peu plus loin. Et, du coup, cela nous rend tristes… et on a raison d’être tristes pour ça.
Non, lorsque nous serons face à face avec Dieu, après notre mort, et plus encore après la résurrection, nous aimerons pleinement à la manière de Dieu. Et Dieu n’a qu’un amour particulier. Il n’y a pas d’amour général chez Dieu, Il n’aime pas un tas : Il nous aime tous, chacun personnellement. Il nous aime tous chacun, chacun personnellement. C’est d’ailleurs un peu étonnant, car on ne le mérite pas vraiment… mais Il a choisi de nous aimer, et il nous aime tous, chacun personnellement, individuellement, d’une manière particulière ; et nous, au ciel, ce sera la même chose, nous deviendrons capables de cet amour, de cet amour individuel pour tous ! Et cet amour individuel pour chacun et pour tous va prendre en compte ce que nous sommes, y compris notre histoire ; et, de fait, lorsque je serai au ciel, je saurai de qui j’ai été la femme, le mari, l’enfant, de qui j’ai été le parent, etc. Et cet amour-là ne sera pas effacé par l’amour de Dieu, mais au contraire, déployé, transfiguré, grandi, et ce sera le plus beau des amours ! Il n’y a pas d’abolition des liens terrestres – bien au contraire – mais une transfiguration. Tout ce qui fait ce que nous sommes sera présent au ciel, d’une manière bien plus splendide, mais tout sera là. Nous aimerons à la manière des anges, donc à la manière de Dieu. La question de la génération, de la procréation ne se pose plus au ciel. C’est l’un des arguments de Jésus. La question de l’union des époux ne se pose plus non plus, puisque nous sommes dans une vie directe, avec Dieu comme « unique spectacle », est-ce qu’on peut dire cela comme ça ? Nous aurons Dieu face à face, et nous pourrons nous laisser aimer par Lui, et ensemble nous L’aimerons. C’est là notre joie, notre avenir, pour nous tous, tous les hommes.
Et très concrètement, à quoi cela nous invite comme conversion aujourd’hui ? C’est qu’il s’agit, dès aujourd’hui, d’entrer dans Son amour plus divin, plus simple : que nous choisissions d’aimer, dès aujourd’hui, à la manière de Dieu, que nous ne contentions pas de seulement croiser les gens comme une sorte de figurant dans notre vie, mais que nous décidions d’aimer très concrètement. On commence par son prochain : mes parents, ma femme, mon mari, mes voisins, ceux qui sont là ; mais dès que nous avons l’occasion de rencontrer quelqu’un, aimons-le, aimons-le ! Travaillons à sa joie et à son bonheur, prions pour lui déjà, aimons-le !