Homélie 24 juillet 2022,
par l’abbé Gaël de Breuvand
En ce dimanche, c’est un petit traité de la prière qui nous est donné. « Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière. » Et pourtant, s’il y en a bien un qui n’a pas besoin de prier, parce qu’Il est Dieu lui-même et qu’il est en communication constante avec le Père, c’est bien Jésus ! Or, Lui, Il s’arrête, Il s’en va à l’écart et Il prie. Petite pensée à ceux qui nous disent : ‘mon Père je n’ai pas besoin de prendre de temps pour ma prière car tout ce que je fais est une prière !’… C’est une très bonne chose et il faut continuer. Mais Jésus, Lui, avait besoin de s’arrêter : peut-être que nous aussi…
I – Pédagogie divine
La prière, si on reprend le catéchisme, on découvre que c’est une rencontre, et c’est d’abord essentiellement cela. C’est peut-être sainte Thérèse d’Avila qui l’a le mieux exprimé, suivie de toute l’école du Carmel : un cœur à cœur, une conversation d’ami avec un ami. En tous les cas, la prière est un temps qui est ‘donné’ : je m’arrête, et je me laisse regarder par Dieu qui m’aime, et je veux L’aimer en retour. Ce Dieu qui m’aime… Comment le sais-je ? Parce qu’Il se dit, Il se dévoile ; c’est toute l’Histoire Sainte de notre monde : Dieu veut se faire connaître de nous, alors que Dieu n’est pas très palpable, Il nous dépasse tellement ! Et pourtant, Il vient à notre rencontre, Il veut se faire connaître, et c’est ce qui se passe avec Abraham. À l’époque d’Abraham, la logique de la rétribution veut que, si jamais j’ai été blessé, j’entre dans une logique de vengeance, une logique même de vendetta. Pour une blessure, c’est la tête de l’autre que je prends. On a blessé un des membres de mon clan ? C’est le clan tout entier en face qui est responsable et qui doit être éliminé. Et Abraham est un homme de ce temps-là. Et lorsque Dieu vient à sa rencontre et qu’Il lui parle de Sodome, eh bien, c’est comme cela : Sodome a péché gravement contre Dieu, donc, conséquence logique : c’est la destruction de Sodome. Et on entend ce marchandage entre Abraham et Dieu. Marchandage… Est-ce qu’on pense qu’Abraham a vraiment fait changer Dieu d’avis ? Si nous croyons vraiment que Dieu est Amour, il est bien évident que non. En fait, ce passage veut d’abord nous révéler quelque chose : Dieu nous aime, chacun personnellement, Il veut pour nous notre vraie joie et notre vrai bonheur. Et lorsqu’ Abraham parle, en réalité, il est rempli de l’Esprit Saint, et il nous fait part de ce qu’est Dieu : un Dieu de tendresse et de miséricorde. Mais, même à l’époque d’Abraham, il faut encore dix justes pour que Dieu épargne la ville. Il faudra attendre encore quelques années, avec des prophètes comme Ézéchiel, comme Jérémie, pour entendre parler d’un seul juste, qui pourrait permettre d’épargner le peuple. Et, vous le savez, il faudra un seul juste, et c’est Jésus qui est l’accomplissement de cette prophétie : un seul juste pour sauver l’Humanité toute entière. Oui, la pédagogie de Dieu se dévoile peu à peu, il n’y a pas à se scandaliser : quoi, Dieu voulait détruire Sodome et Gomorrhe ??? Non, Dieu veut nous donner d’abord une leçon de relation avec Lui. Et, de fait, Abraham est l’intercesseur.
II – l’intercession d’Abraham
C’est le deuxième point, Le premier point c’était la pédagogie de Dieu, le deuxième point c’est l’intercession d’Abraham, ce marchandage. Abraham, s’il peut parler comme cela à Dieu, c’est qu’il se sent en confiance, c’est qu’il se sent aimé de Dieu, c’est qu’il se sent ami de Dieu. Il se sent allié avec Dieu, et il l’est. Seigneur, cette destruction de Sodome et Gomorrhe, cela ne correspond pas à ce que je sais de Toi dans mon expérience personnelle. Tu ne peux donc pas détruire Sodome et Gomorrhe ! Dieu veut se dévoiler à nous tel qu’Il est. Abraham accomplit une fonction qui est proprement celle du prêtre : le prêtre, c’est celui qui fait le pont entre Dieu et les hommes. C’est celui qui établit le lien, qui présente à la divinité – car c’est aussi vrai dans les cultes païens – qui présente les hommes, le monde, tout ce qui est sur cette terre, à Dieu. Abraham fait ce pont, il intercède : « Ces hommes de Sodome et Gomorrhe, pardonne-leur, épargne-les. » Nous le savons, les prêtres, quand ils ne sont que des hommes, ils ne sont pas tout à fait à la hauteur de Dieu, ils ont du mal à faire le pont, car ils ont les deux pieds dans l’humanité, et pas beaucoup d’eux-mêmes en Dieu. Et vous le savez, il n’y en a qu’un seul qui pourra être le prêtre parfait, c’est Jésus : les pieds sur terre, la tête au ciel, pleinement homme et pleinement Dieu. En Lui, la connexion est faite, accomplie parfaitement. Abraham est un type, un modèle, une annonce de ce que sera le prêtre-modèle : Jésus. C’est ce que fait Jésus en s’offrant lui-même, et en nous offrant nous-mêmes avec Lui sur Sa Croix. Il ne s’agit pas d’apaiser une colère de Dieu. Il s’agit de se rapprocher de Dieu qui nous aime. C’est une grande évolution, une grande compréhension, entre l’Ancien Testament et le Nouveau : Dieu n’a pas changé, mais nous Le comprenons différemment. Parce que Dieu nous envoie Son Fils, Sa Parole.
III – Chacun de nous est prêtre en Jésus
Jusqu’alors, nous étions très théoriques ; et, maintenant, nous allons descendre jusqu’à nous, très concrètement. Pourquoi est-ce qu’on a parlé de cette pédagogie divine, pourquoi est-ce que qu’on a parlé de ce sacerdoce, de ce Christ prêtre ? Parce que nous sommes baptisés. Et, si nous sommes baptisés, c’est que nous sommes connectés à Jésus. Mais, vous vous rappelez peut-être, au jour de votre baptême, ou au baptême auquel vous avez assisté, on vous a imposé l’huile sainte. L’huile, en grec, cela se dit « chrisma » et en hébreu cela se dit « mashia’h », ce sont des mots qui ont donné « Messie » et « Christ ». Le chrétien, en réalité c’est le « huilé ». Nos Anciens parlaient grec, et c’est bien heureux, parce que sinon nous serions tout simplement des « huilés », ou tout simplement des « oints », et c’est encore pire ! Donc, nous sommes des huilés, et cela signifie que nous sommes envoyés par Dieu pour une mission particulière, la même que Jésus, qui est prêtre, prophète et roi. Et nous qui sommes connectés à Jésus, nous sommes avec Lui, prêtres, prophètes et rois. Et, donc, nous chrétiens, baptisés, ici présents, nous portons cette mission de prêtre, cette mission de la prière, et donc de connecter le monde au Père par Jésus, avec Jésus, en Jésus. « Sans moi, vous ne pouvez rien faire ». Nous avons reçu la charge de la prière pour le Salut du monde. Si nous ne prions pas, qui le fera ? Seuls les baptisés, connectés en conscience avec Jésus, ont la possibilité d’avoir une prière qui sauve, pour la gloire de Dieu et le Salut du monde. C’est pour cela que parmi les chrétiens, il y en a qui donnent toute leur vie à la prière uniquement : les moines, les moniales, les religieux, les religieuses, les ermites, et puis même, à tous ceux qui souhaitent consacrer leur vie à Dieu, on leur demande une prière spécifique : le bréviaire pour les prêtres, c’est cette prière-là, cette connexion du monde au Père que nous faisons en Jésus, par Jésus, avec Jésus. Au jour de mon ordination, il y a quelques années, j’ai promis de vivre l’œuvre de la prière pour le Salut du peuple chrétien, pour vous ! Et vous, peuple chrétien, qui êtes prêtres en Jésus, par le baptême, vous avez cette mission de porter le Salut dans le monde entier. Et si vous ne le faites, si je ne le fais, parce que je suis aussi baptisé, personne ne le fera, en tout cas pas à notre place. Voilà le cœur de la prière d’intercession.
Prier pour moi-même ?
Alors, cela répond bien à la Première Lecture : on voit pourquoi il nous faut prier pour les autres, il nous faut prier pour le bien du monde entier ; et après, c’est la conclusion, cela va aller un petit plus vite : c’est la prière pour moi. Ai-je le droit de prier pour moi-même ? D’après tout ce que je viens de dire, cela ne rentre pas dans cette explication, donc peut-être que je ne dois prier que pour les autres, et jamais pour moi-même ? Ce n’est pas ce que nous dit Jésus dans l’Évangile. Vous l’avez entendu : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et on vous ouvrira. » La petite parabole de Jésus, avec cet ami importun, un peu dérangeant, nous dit qu’il ne faut pas nous lasser de demander, y compris pour nous-mêmes. Lorsque Jésus nous donne la prière du Notre Père, la demande centrale c’est : donne-nous le pain dont nous avons besoin chaque jour. C’est bien pour moi, et pour mes frères, mais aussi pour moi. Alors, est-ce que nous voudrions faire changer le cœur de Dieu ? On sent bien que cela ne marche pas : si Dieu est Amour, qu’Il connaît toute chose, Il sait bien mieux que moi ce dont j’ai besoin. Alors à quoi sert-il de Le prier ? J’ai trouvé une petite phrase de Denys l’Aréopagite, un père de l’Église du IV-Ve siècle, je ne sais plus, et elle est assez parlante ; écoutez bien : « Prier, c’est être dans un canot et lancer une corde sur la rive. Prier, c’est comme tirer sur cette corde. Ce n’est pas la rive qui vient à vous, c’est vous qui allez à la rive. »
Entrons dans la prière, celle de Jésus, laissons-nous transformer par cette prière. Croyons bien que si nous laissons le temps à Dieu de nous rencontrer, c’est Lui qui nous modèlera, qui nous fera à Son image. Cela nous permettra de remplir notre vocation et notre appel ; laissons-nous toucher par Dieu, offrons-nous – c’est le cœur et la finalité de toute prière – offrons-nous au Père et avec nous, portons le monde par Lui, avec Lui, et en Lui.