Homélie 10 juillet 2022
par l’abbé Gaël de Breuvand
Une rencontre : un Pharisien, qui, comme tout bon Pharisien, connaît bien la Bible, connaît bien le projet de Dieu pour le peuple d’Israël ; il a l’impression d’être à peu près dans les clous. Mais il a de l’ambition : « que dois-je faire pour avoir, en héritage, la vie éternelle ? »
C’est la meilleure question qui soit, car, la vie éternelle, c’est la vie de Dieu lui-même. C’est la vie qui n’est qu’Amour. Et, dans le projet de Dieu, il s’agit que nous soyons vivants de la vie éternelle. C’est d’ailleurs la première chose que l’on demande au jour du baptême. Que demandez-vous ? La foi qui donne la vie éternelle. Donc, ce Pharisien a raison de poser cette question-là, et on sent que s’il la pose, même s’il a coché toutes les cases, il sent qu’il manque encore quelque chose. C’est une question ambitieuse, que l’on ne peut poser que si déjà l’Esprit Saint nous poursuit un peu. Donc, réjouissons-nous de la question de ce Pharisien qui sent appelé à faire mieux, ou plus. Cette vie éternelle nous est accessible ; C’est ce que nous dit Moïse dans la Première Lecture : « Cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas hors de tes forces ni hors de ton atteinte. » Et on dit cela… mais nous, dans notre expérience, est-ce que nous sommes toujours en ligne avec les commandements de Dieu ? « Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est l’Unique. Et tu l’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Est-ce que nous le vivons vraiment ? Est-ce que nous vivons vraiment ces commandements de Dieu ? Pourtant, ils ne sont pas hors d’atteinte, nous dit Moïse.
Et c’est là que vient cette parabole, qu’il nous faut relire. En la relisant, il y a un sens évident, que nous donne Jésus, qui est un appel pour nous, on l’entend bien, à être des bons Samaritains : on l’a tous entendu, on l’a tous bien compris. Mais, peut-être qu’on peut le lire différemment. Et cela ne s’oppose pas. Toutes les lectures que l’on va faire, nous sommes invités à les lire ensemble, ou successivement. Il y a des moments où il y en a une, ou l’autre, qui résonne plus dans notre cœur.
Nous sommes cet homme qui descend de Jérusalem vers Jéricho. Et dans l’histoire sainte, s’éloigner de Jérusalem, ce n’est pas très bon signe. On part du lieu de la présence de Dieu, et l’on s’éloigne… et, vous le savez, Jérusalem est à peu près à 800 mètres d’altitude, et Jéricho est à environ 300 mètres en-dessous du niveau de la mer. Donc, celui qui prend la route de Jérusalem à Jéricho est déjà dans le mauvais sens, symboliquement ! Et en plus, ce petit chemin, qui passe le long des falaises, est objectivement un coupe-gorge. On prend un risque. Cet homme qui descend – alors que nous savons que le bon chemin est dans l’autre sens – c’est nous, évidemment. Et sur ce chemin, alors que nous sommes blessés, que nous n’en pouvons plus, que nous ne savons rejoindre le projet de Dieu, que nous ne savons plus recevoir la vie éternelle, un homme s’arrête pour nous. Cet homme-là, celui qui est saisi de compassion, et cette expression, en particulier chez saint Luc « Il fut saisi de compassion » revient très souvent. Jésus voit les foules : « Il est saisi de compassion ». Jésus voit cet homme, ou ce malade, ou ce défunt, ou cette mère éplorée, « Il est saisi de compassion ». Et le terme grec est très fort : c’est vraiment « ses entrailles se tordent », « son utérus se tort ». C’est vraiment la maternité de Dieu qui s’exprime ici ! Parce que le Bon samaritain, dans cette histoire, c’est aussi Jésus Lui-même. Lui qui vient à notre rencontre, qui vient nous ramasser sur le chemin, alors que nous ne savons plus trouver aucun sens à nos vies. Lui, nous relève, Il prend soin de nous, Il nous emmène jusqu’à l’auberge. Regardez, contemplons la merveille, la tendresse, la miséricorde du Seigneur, en lisant cette parabole…
Mais, Jésus, on peut aussi Le voir comme étant le blessé lui-même. Il l’a dit au chapitre 25 de saint Matthieu : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. » Jésus est le blessé, et je peux décider d’être le Samaritain, celui qui s’arrête, celui qui est saisi de compassion, celui qui sent qu’il faut faire quelque chose. Et c’est Jésus que je sers en servant le plus petit !
Mais on peut encore voir Jésus dans l’aubergiste. Nous travaillons, nous faisons le bien comme le Samaritain, ou même comme blessé, mais le tout, c’est de ne pas oublier de se remettre entre les mains de celui qui veut notre bien, notre Seigneur, l’aubergiste lui-même. Celui qui nous gardera.
On a regardé Jésus, qui est là comme le Samaritain, qui est là comme le blessé, comme l’aubergiste… et puis, après… et nous ? Alors évidemment, quand on lit cette parabole, le premier lieu où l’on risque de se voir – c’est un peu douloureux, d’ailleurs ! – c’est dans la figure du prêtre ou du Lévite. Jésus n’a aucun jugement de valeur, Il constate juste qu’ils le voient et qu’ils passent. Ils ont peut-être toutes les raisons du monde de ne pas avoir le temps, là, tout de suite, de s’en occuper. Et, c’est aller un peu loin que de dire : c’est l’opposition entre le culte et la charité complète. Ce n’est pas ce que dit Jésus. Mais, le fait reste : ils ne se sont pas arrêtés ; alors qu’ils font profession, comme prêtre et comme lévite, d’être des champions de l’écoute de la parole de Dieu, de la mise en application des commandements. Et voilà que celui qui s’arrête, c’est un Samaritain, celui qui est loin, celui qui n’est pas un très bon Juif. Il n’est pas tout à fait dans les clous.
La question qui se pose est : est-ce que je veux bien être un Samaritain, ou est-ce que je préfère être un prêtre ou un Lévite ? Et c’est là toute la bascule : Jésus répond à la question : qui est mon prochain ? Jésus répond à la question en tordant la question. Car dans sa réponse, Jésus pose la question : comment est-ce que, toi, tu deviens le prochain de celui qui en a besoin ? Quand j’étais louveteau, à huit ans, on m’a appris une règle, une loi, c’est de faire une bonne action quotidienne. Chaque jour une B.A. Il y a deux manières de faire la B.A. La première – que je ne trouvais pas mal – c’est : j’attends qu’une B.A. passe par là, et lorsque je la vois, alors je la fais. Le gros avantage – ou inconvénient – c’est que lorsqu’on attend, il n’y en a pas tant que cela ! Du coup, même avoir une BA chaque jour, c’est un peu compliqué : si je l’attends, souvent, je ne la verrai pas passer. Et il y a une deuxième manière : c’est de la provoquer, de la décider. Le matin, j’ouvre les yeux et je me dis : tiens Seigneur, aujourd’hui, pour qui je vais donner de la joie et du bonheur ? Aujourd’hui, qu’est-ce que je vais manifester comme amour ? À celui que je trouverai, pour qui me ferai-je prochain ? Et, du coup, la question de la distance ne se pose pas, car je peux me faire prochain du plus proche : il faut le faire pour son époux, son épouse, ses enfants, ses parents, mais aussi pour ceux qui sont un peu plus loin, et même pour ceux qui sont très loin. Nous décidons, et c’est la clé de l’amour. L’amour est une décision personnelle. Aujourd’hui, qu’est-ce que je peux faire et que je vais faire, pour la joie, pour le bonheur de celui-là qui est près de moi ? Cela peut être, tout simplement, tiens, aujourd’hui – je vous donne un exemple, juste ! – aujourd’hui, dimanche, vous rentrez chez vous, et vous vous dites : « tiens, cela fait très longtemps que je n’ai pas pris des nouvelles de untel, je vais l’appeler. » Pas besoin de rester 3h au téléphone, mais très concrètement, il y en a, peut-être, qui attendent de vos nouvelles, et qui seraient heureux de ce coup de téléphone. C’est un exemple, mais il y en a des dizaines. Comment est-ce que moi, aujourd’hui, je me fais le prochain de celui qui est là ? C’est cela, la réponse de Jésus, il a détourné la question du Pharisien.
Alors, pour pouvoir se faire le prochain, je disais, je dis, et je maintiens : c’est une décision. L’acte d’amour est une décision, qui nous est accessible, nous dit Moïse ; et en même temps, elle ne nous est accessible que si nous acceptons d’être connectés à Jésus. Et, deuxième point, petite proposition pour la journée, ce dimanche, une petite B.A., ça, c’était la première ; et la deuxième, relire la Bible et contempler, avec saint Paul, Jésus. « Jésus est l’image du Dieu invisible. » Il est la tête du corps, et nous, si nous sommes membres de Son corps, nous vivons de Sa vie, et nous faisons ce qu’Il fait ; et ce que nous faisons, c’est Lui qui le fait. « Le Christ est saisi de compassion pour chacun de nous, et nous sommes invités à être saisis de compassion pour tous les autres membres du Christ ». Qu’ils soient membres en acte ou en puissance ; donc, tous les hommes. Nous ne pourrons vivre de cet amour-là que si nous regardons, sans nous lasser, si nous contemplons Jésus et nous nous laissons regarder, et nous nous laissons aimer par Lui.