Homélie 19 juin 2022 ;
par l’abbé Gaël de Breuvand ;
Gn 14, 18-20 ; Ps 109 ; 1Co 11, 23-26 ; Lc 9, 11b-17
I – Melchisédech, ‘type’ du Messie, qui nous introduit à l’Alliance
Si on fête le Saint-Sacrement après avoir fêté la Sainte-Trinité et puis la Pentecôte, c’est parce que l’Église a jugé bon que nous ayons un petit écho de ce qui s’est passé au Jeudi Saint. Cette offrande que le Christ fait de Lui-même à Son père en notre faveur, elle se manifeste pour nous par la communion. Et, du coup, aujourd’hui, c’est bien la fête de la communion, celle du-Saint Sacrement, celle du Corps et du Sang de Jésus.
Les lectures qui nous sont données aujourd’hui, sont un peu étonnantes : on ne voit pas bien ce que vient faire Melchisédech dans cette histoire, et même la multiplication des pains… Quel est le lien avec cette Eucharistie que nous fêtons aujourd’hui ? Alors dans ce passage de la Genèse, on voit apparaître ce roi qui s’appelle Melchisédech – pour ceux qui savent, ce n’est pas mon chat dans ce cas-là ! –. Ce personnage est un peu étonnant : on n’en parle que deux fois dans tout l’Ancien Testament, et on a entendu les deux textes qui en parlent : le texte de la Genèse, et puis le psaume 109. « Melchisédech », cela signifie le « roi de justice » : « malik » et « tsadik ». Ce roi de justice est aussi roi de la ville de Salem, « shalom » en hébreu : C’est la paix. Il est donc roi de la paix, roi de cette ville qui deviendra Jérusalem. Ce personnage est étonnant, car il tombe du ciel. Il apparaît, certes il est roi de Salem, mais on ne sait pas d’où il vient, qui est son père et, vous le savez, chez les Orientaux, dans la Bible, il est très important d’être fils de quelqu’un. Et là, Melchisédech, il est juste Melchisédech…
Et que fait-il ? Il offre du pain et du vin. Ce sera beaucoup commenté dans la Lettre aux Hébreux, qui nous dira qu’il est le « type » de Jésus, autrement dit, il est un personnage qui nous annonce ce que va être, et ce que va réaliser Jésus. Il est l’annonce d’un Messie qui offre le pain et le vin à Dieu. Abraham reconnaît en lui un prêtre, un serviteur du vrai Dieu ; et à l’époque d’Abraham, il n’y a que lui et Melchisédech qui croient au vrai Dieu ! Abraham, en recevant la bénédiction de Dieu par les mains de Melchisédech – va offrir son bien, 10% de ses biens, la dime, à Melchisédech ; mais, en fait, il l’offre à Dieu ; c’est là encore une fois une annonce de ce que Dieu va accomplir. Il reçoit toute bénédiction de Dieu et il rend, à Dieu, Son Père, tout ce qu’Il est. Le Père aime le Fils, et le Fils aime le Père, le Père donne au Fils, le Fils donne tout au Père.
En fait, ce qu’accomplit Melchisédech, ce qu’accomplit en plénitude Jésus, nous sommes invités à le vivre aussi : lorsque nous sommes connectés au Christ, nous accueillons les mêmes merveilles que le Christ : l’Esprit-Saint, Dieu lui-même dans nos vies ; et nous sommes invités à répondre, de cette même manière, en nous offrant tout entiers. Nous entrons dans une logique d’alliance, et Dieu vient se mettre à égalité avec nous. Une alliance d’égal à égal : non pas que nous soyons à l’égal de Dieu, mais parce que Dieu vient se faire homme, et Il se fait égal à nous pour nous élever jusqu’à Lui. Melchisédech nous invite à rentrer dans une alliance avec Dieu ; c’est plutôt pas mal, pour une paroisse qui s’appelle la Paroisse de l’Alliance… !
II – Ce que j’ai reçu je vous le transmets
La Deuxième Lecture, on la connaît bien, parce qu’on l’entend suffisamment souvent. Une parole très forte. C’est une parole solide chez les Juifs, dans le sens où « ce que je vous dis ne vient pas de moi, je l’ai moi-même reçu ». C’est un cadeau, un cadeau que j’ai reçu, je l’ai gardé intact pour vous le transmettre, « je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu ». Et cette parole, dans l’Ancien Testament, on ne l’a que deux fois. Et c’est chaque fois saint Paul, et il l’adresse à chaque fois aux Corinthiens, mais en fait à tous les paroissiens de l’Alliance ! On l’a ici au chapitre 11 ; ce cadeau, c’est que « le Seigneur Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna à Ses disciples en disant : Ceci est Mon corps livré pour vous, Ceci est Mon sang versé pour vous. » Une parole forte, que saint Paul juge utile de nous transmettre avec toute la solennité nécessaire. « Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu ». Et l’autre parole, qui va avoir cette même introduction, c’est le kérygme, le cœur de notre foi : le Fils de Dieu s’est fait homme en Jésus et a vécu, a souffert, Il est mort et Il est ressuscité, et Il veut nous faire entrer dans cette résurrection. C’est cela, le cœur de notre foi et, pour nous faire entrer dans le cœur de Sa résurrection, c’est au chapitre 15 de la Lettre aux Corinthiens, cela nous renvoie au chapitre 11 de Jésus qui donne Sa vie pour nous.
III – le pain des envoyés
Et puis, on avait cette séquence : vous aviez la traduction sous les yeux, on l’a chantée en latin, « Ecce Panis Angelorum », « Le voici, le pain des anges ». C’est un petit peu étonnant : un ange, est-ce que cela a besoin de pain ? Non ! de communier au Corps et au Sang du Christ ? Non plus ! Alors justement, ce pain est le pain de tout le monde, et en particulier des hommes, mais ce n’est pas le pain des anges. Alors pourquoi on l’appelle ‘pain des anges’ ? Parce qu’en grec, (et en latin d’ailleurs), « angelos », avant de signifier « l’ange », tel que nous, nous l’entendons, cela veut dire « envoyé ». C’est le pain des envoyés, c’est le pain de l’homme en route, c’est notre pain, parce que c’est nous qui sommes envoyés. Nous avons reçu ce qui nous a été transmis ; et ce que nous recevons comme cadeau, c’est pour que nous allions le porter aux autres. Nous sommes envoyés ! Nous accueillons l’amour de Dieu dans nos vies, ce n’est pas pour le garder pour nous-mêmes. Cette parole, c’est pour la donner, la porter, en témoigner, pour en vivre, en somme ! Nous sommes des envoyés, c’est le sens de la messe « Ite missa est », que l’on traduit par « Allez dans la paix du Christ » ; or, ce n’est pas correct, on devrait dire « allez, vous êtes envoyés », envoyés, mission…
IV – La multiplication des pains, annonce de l’Eucharistie qui fait l’Église
Et puis nous avons cet évangile, qui est étonnant. Dans l’absolu, il n’a rien à voir avec l’Eucharistie ! Il nous parle de Jésus qui enseigne, et puis qui prend soin. Le rapport avec l’Eucharistie ne serait pas très net, si l’évangéliste n’avait pas fait un choix bien particulier. Quand il raconte ce que fait Jésus, il dit : « Jésus prend le pain et les poissons, et levant les yeux au ciel, Il prononce la bénédiction, les rompt et les donne. » Dans quelques instants dans la prière eucharistique I, qui est immémoriale – on ne sait pas de quand elle date – et en particulier le récit de la consécration, il peut dater de la même période que l’évangile ! – « Il prit le pain dans Ses mains très saintes, et les yeux levés au ciel vers Toi Son Père tout-puissant, Il dit la bénédiction, Il rompit le pain et le donna à Ses disciples en disant : Ceci est mon corps. » Les cinq verbes que Luc utilise sont les mêmes cinq verbes que l’on utilise pendant la consécration à la messe. Peut-être que c’est fait exprès de la part de saint Luc, et ainsi cet évangile a un lien avec l’Eucharistie, pas simplement parce que c’est du pain, mais parce que Jésus accomplit le même acte.
Mais le don n’est pas encore plénier, il faut attendre la fin de l’histoire, la Passion, lorsqu’il donne Son corps et Son sang. Mais cela nous intéresse, cela veut dire quelque chose, cela nous éclaire sur l’Eucharistie :
D’abord, Jésus fait bon accueil à cette foule. Le contexte ? Jésus et Ses disciples sont partis se reposer, mais la foule les a suivis, car Jésus connaît le succès, Il est le Rabbi que l’on veut écouter. Et les disciples ne sont pas forcément très heureux de voir la foule, mais Jésus leur a fait bon accueil, et Il a commencé par les enseigner, par leur donner la Parole de Dieu, la vraie nourriture. Et si cette parole de Dieu nourrit le cœur, l’âme, nous avons aussi un corps à nourrir… et les disciples, eux aussi, ont un corps, ils sont fatigués, ils commencent à avoir faim : « Il va falloir les renvoyer ». Mais Jésus ne veut pas les renvoyer : « Donnez-leur à manger ». Et là, on a un bel acte de la part des disciples : ils n’ont que cinq pains et deux poissons. Ce n’est pas beaucoup pour douze apôtres, mais ils sont prêts à les donner. Nous n’avons que cinq pains et deux poissons, cela ne suffira jamais pour cette foule, mais, on te les donne ! C’est un vrai choix de pauvreté, une offrande, un don. Quand ils le donnent, ils le perdent, ou alors c’est l’impression qu’ils ont. Ou alors, acheter à manger pour toute la foule ? mais ça, ça n’est pas tenable. Et Jésus accepte leurs cadeaux, Il les prend, les rompt, les donne aux disciples.
Et ce qui est intéressant, c’est que, avant de faire cet acte d’offrande – Il va nourrir toute cette foule de ce pain – il y a quelque chose avant cela. « Il y a avait environ cinq mille hommes, Jésus dit aux disciples : ‘faites-les asseoir par groupe de cinquante environ’ : Ils exécutèrent sa demande et firent asseoir tout le monde. » Cette foule qui est là en vrac, le Christ demande à Ses disciples de l’organiser. Cette foule, qui était un tas de gens, devient un peuple. Un ordre est mis en place, une hiérarchie. En réalité, cet ordre existe encore, puisque les successeurs des apôtres, ce sont nos évêques. Donc, ils sont en charge de transmettre ce trésor de la Parole de Dieu à nous, fidèles ; et puis au sein des fidèles, il y a des groupes de cinquante, on pense un peu plus, on espère, ce sont les paroisses ! Au sein de chaque paroisse, nous sommes invités à prendre soin les uns des autres. Et notre prochain, c’est celui qui est là, près de nous, même s’il est un peu fatigant… I
l donne ce pain qui vient d’être multiplié aux disciples, pour que les disciples les donnent à la foule. Là encore, les disciples sont au service, reçoivent cette mission, cette hiérarchie qui est mise en place : les disciples font le pont entre Jésus et la foule qui devient un peuple. C’est une hiérarchie de service : on n’est pas dans une logique de pouvoir -, le seul pouvoir, c’est Jésus. Donc, il s’agit pour nos évêques, à la suite des disciples, d’être des transmetteurs du pain de Dieu, de la vie de Dieu, de l’amour de Dieu, de la Parole de Dieu, mais ce n’est pas seulement cela.
Car cette question-là se pose pour l’Église tout entière dans son rapport au monde, à ceux qui ne font pas partie de l’Église. Et nous sommes tous des disciples qui recevons le cadeau de Dieu, le don de Dieu, la Parole de Dieu ; donc nous sommes chargés de le porter ; de le transmettre.
Vous allez me dire que je l’ai déjà dit au début et que je me répète, c’est exprès : nous sommes fondamentalement appelés à être des porteurs, des témoins du Christ, des porteurs de joie. Du coup, il faut accepter une conversion, accepter de se laisser bousculer, de se laisser transformer.
De Melchisédech à Jésus, jusqu’à aujourd’hui, le pain de la vie nous est donné, et nous sommes invités à répondre au Christ en nous offrant nous-mêmes : c’est ce que nous voulons vivre dans l’Eucharistie maintenant, c’est ce qui nous donne sens à notre vie toute entière, pour être des porteurs, des donneurs de joie.