Homélie 12 décembre 2021, par l’abbé Gaël de Breuvand
I – Qu’en est-il de cette parole de Dieu qui semble inefficace ?
« Pousse des cris de joie, fille de Sion ! ». C’était Sophonie : il annonce le Messie. Et ce Messie qui vient apportera un règne de paix, Il remettra les choses dans l’ordre, et nous pourrons vraiment être dans la joie. « Pousse des cris de joie ! », même à l’avance, car le Seigneur vient. Mais notre problème à nous, c’est que le Seigneur est venu, et que l’on n’a pas l’impression que ça aille mieux… Aussi bien dans notre monde généralement : des catastrophes, il y en a toujours, des états tyranniques et des violences, il y en a toujours ; un petit plus près de nous, dans nos associations, dans nos communes, dans nos familles, et même au milieu de nous, dans notre cœur, nous sommes divisés. Comment faire pour pousser des cris de joie ? Et pourtant, saint Paul, après la naissance de Jésus, alors qu’on ne peut pas dire que tout aille bien à l’époque de saint Paul, il le dit lui-même, « soyez toujours dans la joie du Seigneur, je le redis : soyez dans la joie ».
Alors, cela nous semble être quelque chose de trop grand, de trop fort, d’intenable. Et comme conclusion de son texte, saint Paul nous dit : « la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus ». La paix de Dieu. Là encore, on ne la voit pas beaucoup, donc on a encore un constat d’échec : cet appel du prophète, cet appel de saint Paul, à être dans la joie, cela ne marche pas… Être dans la paix ? On n’y arrive pas. Alors, comment faut-il comprendre cela ? Car ces paroles de Dieu – et si c’est une parole de Dieu, c’est une parole qui est bonne pour nous – c’est une parole qui est vraie, qui est une bonne nouvelle à laquelle nous sommes invités à nous conformer. Alors, que dire ?
II – Quand l’efficacité de la Parole de Dieu est dépendante de notre liberté.
La clé est peut-être dans ce que propose Jean-Baptiste dans l’Évangile. Il appelle à un acte, à un plongeon dans le Jourdain, à un baptême de conversion. Vous savez ce que c’est qu’une conversion ? Au ski, c’est quand on regarde de ce côté-ci, et qu’on veut aller de ce côté-là ; et le problème, c’est que la pente est comme ça, et si je tourne mes skis en direction de la pente, je vais me retrouver en bas, donc il y a un geste un peu technique, et un peu douloureux aussi, qui consiste à changer ses skis de direction. Eh bien, la conversion spirituelle, c’est du même ordre : c’est un peu douloureux, et c’est un peu technique. Mais c’est ce à quoi appelle Jean. « Convertissez-vous ! » Mais que faut-il faire ? demande la foule. Alors, ce qui est très intéressant dans ce que propose Jean, c’est qu’il n’y a rien d’extraordinaire. Les collecteurs d’impôts ? Contentez-vous de collecter ce qu’on vous demande de collecter. Les soldats ? Ne soyez pas plus violents que nécessaire, contentez-vous de votre solde, soyez justes ! Et puis, pour tous, eh bien, quand vous avez du surplus, sachez le partager. De fait, rien que de très ordinaire dans cet appel à la conversion : mais c’est le premier pas, c’est ce qui va déjà permettre d’accueillir le Sauveur qui vient, c’est le point de départ. Après, peut-être que le Seigneur en demandera plus. Mais, déjà, vivez en honnête homme, c’est un peu ce que dit Jean.
III – Avec le Messie qui vient, c’est un changement complet de modèle.
Alors, la foule est là et se pose la question : du coup, avec cette parole qu’il nous donne, est-ce qu’il est le Messie ? Jean répond : non ce n’est pas moi, car, moi, c’est juste un baptême d’eau, c’est juste un symbole, un signe. Mais « Celui qui vient derrière moi vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. » Et là, ce ne sera plus simplement un signe : la réalité va changer, vous serez changés par ce baptême que lui, le Messie, donnera. Alors, pour entrer dans la joie, nous disions que l’Évangile donnait déjà une première réponse, la conversion en direction de la vie honnête, c’est ce à quoi nous appelle Jean le Baptiste, dans ce texte. Mais, cela ne suffit pas, parce que justement le Messie vient. Le Messie, ici, est assez peu décrit. « Il baptisera dans l’esprit saint et le feu, il tient en main sa pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé ». Qu’est-ce que c’est que cette aire à battre le blé ? Certains diront : c’est le monde, et du coup, il va y avoir un tri entre le bon grain et la paille. Celle-ci part au feu, et le bon grain est mis au grenier. En fait, c’est une lecture fausse, qui voudrait faire une différence entre les hommes, entre ceux qui seraient damnés par avance, et ceux qui seraient sauvés. Ceux qui ont des bons points, et ceux qui n’en n’ont pas. Ce n’est pas ça, car nous connaissons la nature humaine : il n’existe pas de personne qui ne soit que bon grain. De la même manière, il n’existe pas des personnes qui ne soient que paille.
En fait, cette aire à battre le blé, c’est notre cœur. C’est notre cœur. Et il y a dans notre cœur, de beaux fruits, de belles choses, qui produisent de bons actes ; et puis il y a, dans notre cœur, des choses qui ne servent à rien. Cela nous fait penser à la parabole entre le bon grain et l’ivraie, et quand le Seigneur vient, et que l’ouvrier demande : « est-ce que je dois arracher l’ivraie ? », le Seigneur répond : attends, on fera cette séparation en son temps, à la fin.
IV – laisser Dieu faire le tri pour nous rendre saints
Le Seigneur vient, Il vient libérer nos cœurs de cette paille, Il vient nous brûler tout cela. C’est un motif de joie, parce qu’il ne suffit pas seulement d’être un honnête homme, il s’agit de s’exposer au soleil de Dieu et de le laisser faire le tri dans nos cœurs. Je n’ai pas à atteindre une perfection, qui est en réalité inatteignable pour moi, j’ai à laisser Dieu agir et faire le tri dans mon cœur. Il faut bien que je fasse quelque chose, il faut bien que je sois collaborateur de ce que Dieu veut faire chez moi, mais il ne s’agit pas devenir un saint de vitrail. Il s’agit de devenir un saint, au sens de quelqu’un qui est en chemin, qui se laisse regarder par Dieu, et qui sait que Dieu l’aime. C’est ça, un saint. J’aime beaucoup saint Jérôme. C’est celui qui a traduit la Bible, dans un bon latin, c’est encore la Bible qui fait référence aujourd’hui en latin. Jérôme est saint : il a été canonisé, et pourtant, toute sa vie, il a eu un caractère insupportable, à se disputer avec ses meilleurs amis, à écrire des lettres incendiaires, mais, il n’a jamais cessé de se tourner vers le Christ et de se laisser aimer par Lui. C’était un amoureux, et son caractère épouvantable a été certainement brûlé dans le feu de l’amour de Dieu. Nous sommes invités à nous laisser débarrasser du péché, à nous débarrasser de tout ce qui n’est pas ajusté au projet d’amour de Dieu pour nous.
Alors, oui, vient la joie, oui, nous pouvons dire que nous sommes dans la joie, même si toutes les épreuves sont encore là, nous savons que nous sommes aimés, nous savons que le Seigneur vient, nous savons qu’Il travaille nos cœurs. Oui, la joie est là ! La joie est là ! C’est bien pour cela que je suis en rose aujourd’hui. C’est joli, hein ? Cette joie, qui vient s’insérer dans notre vie quotidienne, car tout ce que nous faisons, même les choses les plus basiques, même les choses les plus ingrates, deviennent, du coup – parce que le Seigneur vient – ordonnées au royaume de Dieu. Je peux mettre le couvert, et en faire un acte d’amour, je peux passer le balai, et en faire un acte d’amour, je peux gonfler mes pneus, et en faire un acte d’amour, je peux jouer avec mes enfants ou mes petits-enfants, et en faire un acte d’amour. De fait, c’est moi qui le décide, car Dieu m’a donné cette capacité d’aimer et de me laisser aimer.