Aimer, c’est tout donner

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32e dimanche du Temps ordinaire – B
par l’abbé Gaël de Breuvand ;
1 R 17, 10-16 ; Ps 145 ; He 9, 24-28 ; Mc 12, 38-44 ;

I- Typologie, et offrande de la veuve

Pour lire la Bible, il y a un certain nombre de méthodes : il y a une lecture un peu spirituelle, une lecture un peu historique, et, là, je voudrais parler d’une lecture qu’on appelle la lecture typologique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que dans toute la Bible, il y a des types, des figures, qui annoncent Jésus. Quand on voit ces figures de l’Ancien Testament, généralement, on discerne des traits qui seront accomplis pleinement en Jésus. Alors, évidemment, quand on entend la Première Lecture, le premier type auquel on pense, c’est Élie. Élie le prophète annonce Jésus. Il est déjà un témoin de ce que sera Jésus.

Mais, dans ce texte-là, tout particulièrement, ce n’est pas Élie qui nous intéresse le plus : le personnage qui nous intéresse le plus, c’est la veuve. Pourquoi ? Parce que la veuve accueille l’étranger, elle le nourrit, elle en prend soin, dans une confiance parfaite au Père. Elle donne tout ce qu’elle a. Tout. Elle ne retient rien. « Je n’ai plus qu’une poignée de farine et un peu d’huile dans un vase : quand nous l’aurons mangé, nous mourrons. » « Ce n’est pas grave, fais donc la cuisine quand même, on le mangera, cela se passera bien ». Vous imaginez la confiance ? C’est ce qu’elle fait, c’est ce qu’elle fait : elle donne à manger à Élie, et elle donne tout. Elle ne sait d’ailleurs pas encore si cette parole du prophète s’accomplira, parce qu’on est à Sarepta, donc au Liban, pas du tout en pays juif. Le dieu de cette veuve, ce n’est pas le dieu d’Abraham. Elle a donné tout, elle a donné sa vie ; finalement, donner, donner tout ce qu’on est, il n’y a que cela qui compte. Au point que le Concile Vatican II dit : « L’homme, seule créature voulue pour elle-même, ne se trouve pleinement que dans le don désintéressé de lui-même ». Je n’accomplis ce pour quoi je suis fait que quand je me donne. Cette veuve de Sarepta s’est donnée elle-même.

II – Générosité et offrande

Bien des siècles plus tard – Élie, c’est environ 830 ans avant J.-C. – donc dans les années 30’, donc 860 ans plus tard, il y a Jésus qui est un peu au spectacle et qui regarde les gens qui mettent dans le tronc du temple. C’est comme si je me mettais là, et que chaque fois que quelqu’un met une pièce là, je regarde ce qu’il donne. C’est un peu étonnant, quand même ! Il regarde les gens qui passent, qui donnent, et voilà Il s’exclame, et on entend une admiration, Il fait venir Ses disciples : « Amen, je vous le dis, cette femme-là a mis plus que tous les autres », parce qu’elle n’a pas été généreuse : elle a tout donné, et ce n’est plus de la générosité dans ce cadre-là. La générosité, c’est une vertu, une qualité sociale : c’est lorsque je donne ce que j’ai en trop, pour que ce soit mieux pour les autres. De fait, là, elle est la plus pauvre. Elle ne fait pas un acte de générosité : elle fait beaucoup plus que cela. Elle se donne, pour une chose qu’elle évalue et qu’elle juge bonne : pour l’entretien, la reconstruction – à cette époque, on est encore dans les améliorations – la fidélisation et la reconstruction du temple. Alors, la générosité, je disais qualité sociale ; cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas en avoir : c’est bon la générosité. Mais, de fait, nous sommes invités à faire un pas de plus et à devenir la veuve de Sarepta, comme la veuve du temple (qui est un autre type de Jésus), nous, nous sommes invités, comme nous passons après Jésus, à être des imitateurs de Jésus, à entrer dans cette offrande de nous-mêmes : on ne compte pas, on donne, et c’est cela notre joie.

En réalité, le don est déjà fait : parce que nous avons été baptisés. Pour la majorité d’entre nous, ce sont nos parents qui l’ont fait en notre nom, mais, depuis, nous avons vécu quelques étapes, profession de foi ou d’autres sacrements, nous avons été baptisés, donc nous sommes connectés au Christ, donc nous sommes offerts au Père avec Lui, et tout est donné, rien de ce qui est en nous n’a pas déjà été donné. Il s’agit maintenant d’actualiser ce don, évidemment. Certains d’entre vous sont mariés et, vous le savez, vous avez prononcé une parole le jour de votre mariage : « Je te reçois et je me donne à toi pour t’aimer, tous les jours de ma vie. » Il n’y avait pas de clauses de « sauf si ». Moi prêtre, je me suis allongé à plat ventre, et c’était un acte d’offrande pour moi, et peu après, l’évêque a mis ses mains sur ma tête et a fait de moi un prêtre. Il y a une consécration, je me suis donné tout entier à Dieu.

III – Tentation du repli…

Mais, de fait, vous le savez bien, une fois qu’on a tout donné, – et en général, quand on l’a fait on l’a fait en vérité – en revanche, le lendemain, tout de suite, on essaie de reprendre un peu quand même : on a tout donné mais… Et de fait, c’est le travail et la conversion à laquelle nous sommes invités, de renouveler notre offrande, de renouveler notre don. Par nous-mêmes, on n’y arrivera pas.

D’ailleurs, on a un bel exemple de cet échec du don. Les scribes dont parle Jésus : la semaine dernière, dimanche dernier, on a eu cet évangile du scribe qui s’approche de Jésus et lui demande : « Quel est le plus grand commandement ? » Et nous avons vu que Jésus l’a complimenté : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. », l’a admiré, même. Car, oui, vraiment, il était ajusté. Mais, bon aujourd’hui, « méfiez-vous des scribes, car ce sont des anti-types ». Et le type qui annonce Jésus c’est l’anti-type, c’est l’inverse, il a besoin d’être sauvé, du coup. Et qu’est-ce que c’est que ce scribe ? C’est quelqu’un qui connaît la loi par cœur. Il sait les 613 commandements, et il essaie de les respecter à la lettre. Il a peut-être perdu de vue le cœur et l’essentiel, mais, alors qu’il est appelé à aimer, de fait, il est bien appelé à saluer les gens ; et c’est une bonne chose d’être en relation, il est bien invité à être en relation avec les veuves et les pauvres, il est bien invité à prendre le temps de la prière, et voilà que ces actes, qui sont bons en soi, sont pervertis. Cela devient un acte en l’honneur de l’ego, un acte qui ignore Dieu. « Pour l’apparence, ils font de longues prières. » Quand la prière devient un masque, un cinéma, un théâtre, il y a quelque chose qui cloche. Alors, c’est facile, car l’anti-type des scribes, c’était il y a longtemps et cela ne nous concerne pas trop…

Mais peut-être que si. Ne soyons pas naïfs. Quand moi, je me regarde, je vois bien qu’il y a un peu de scribe en moi, et, je pense que chez vous aussi. Mais Jésus nous aime, et nous appelle à une conversion, à nous retourner vers Lui : Lui a tout donné et, en fait, Il ne demande pas grand-chose, il faut juste faire un pas vers Lui et qu’on s’accroche à Son manteau. Et c’est Lui qui nous élève vers le Père, qui nous offre au Père.

Ayant écouté cette parole de Dieu, ayant découvert les types de Jésus, ayant découvert Jésus lui-même, nous sommes invités à nous réaliser vraiment, à nous donner tout entier. Alors, comme c’est un peu difficile, qu’il faut sans cesse s’y reprendre, – car, très régulièrement, on part dans des impasses – eh bien, tournons-nous vers le Christ et demandons-Lui : Seigneur, fais grandir en moi la foi, la confiance en Toi, elle qui me permet de tout lâcher, parce que Tu ne me laisseras jamais tomber ; fais grandir en moi l’espérance, toutes les merveilles que Tu as déjà accomplies dans ma vie et dans l’Histoire du monde ; fais grandir en moi la charité, Ton amour, pour que cet amour se déploie en moi et que je sois, moi, à mon tour, un reflet de Ta bonté, de Ta tendresse, de Ta miséricorde.