Homélie du 27e dimanche de TO – B
par l’abbé Gaël de Breuvand, en la fête de rentrée paroissiale – 3 octobre.
Gn 2, 18-24 ; Ps 127 ; He 2, 9-11 ; Mc 10, 2-16
I – Jésus aborde si souvent ce sujet du ‘pour toujours’
Nous entendons cette rencontre entre les Pharisiens et Jésus. Les Pharisiens cherchent à piéger ce dernier. Nous sommes au chapitre 10 de l’Évangile selon saint Marc, et cette rencontre nous est également rapportée par saint Matthieu au chapitre 19. Mais ce sujet du ‘pour toujours’ du mariage a été abordé par Jésus en d’autres circonstances : dans le discours sur la montagne, au chapitre 5 de saint Matthieu ; chez saint Luc ; et puis saint Paul, lui aussi, en parle. Alors, on peut se poser la question : pourquoi Jésus insiste-t-il, car Il ne le dit pas qu’une fois, mais plusieurs fois. Pourquoi est-ce qu’Il faut qu’Il revienne sur cette question-là ? – d’autant que ce n’est pas un sujet très populaire… Au point que, dans le passage parallèle chez saint Matthieu, quand les disciples se retrouvent seuls avec Jésus, ils disent : ah ben, ‘à ce compte-là, cela ne vaut pas le coup de se marier !’ Et Jésus leur répond, chez saint Matthieu : « il y a ceux à qui cela est donné et qui peuvent comprendre ces paroles. » Ce n’est pas un sujet populaire, alors on pourrait se demander pourquoi Jésus « crame » sa popularité en traitant ce sujet. Il pourrait esquiver, Il pourrait avoir une version un peu plus libérale, un peu plus cool. Moïse avait toléré la séparation. En fait, Moïse ne permet pas la séparation ou le divorce, il précise juste que, quand il y a divorce, alors il faut faire cela proprement, il faut qu’il y ait un document, quelque chose d’écrit, etc. Mais, de fait, Jésus le dit : « c’est à cause de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle. ». Alors, pourquoi ? Pourquoi cette exigence de Jésus, d’autant plus qu’elle nous touche : si ce n’est pas personnellement, elle touche nos proches, des gens qui sont autour de nous. Vous le savez peut-être, mais aujourd’hui à peu près 60 ou 70% des mariages que je célèbre choisissent comme texte ce passage : « ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ». Et pour ceux qui se sont mariés il y a quelques dizaines d’années, en fait avant ça n’était pas cela : à l’époque, il y a trente ans, la question du ‘pour toujours’ se posait de façon moins cruciale qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, on se rend bien compte qu’il est difficile de tenir la durée, de tenir ce « pour toujours » du mariage.
II – L’être de Dieu
Alors pourquoi Jésus insiste-t-il ? Il nous renvoie au projet de Dieu, au projet des origines. Cela tombe bien : l’Église est fine mouche et nous a donné justement ce passage de la Genèse. Alors, la dernière fois que j’ai lu un livre sur ce passage, qui fait 6 versets, il y en avait pour 30 pages. Donc, du coup, je ne vais pas vous faire le résumé ; mais il faut revenir justement à ce projet de Dieu pour l’humanité. Qu’est-ce que veut Dieu ? Dieu nous crée, et pourquoi ? Pour nous faire entrer dans Son Alliance. Cela tombe bien, c’est le nom de notre paroisse. Cela tombe bien que ce soit justement aujourd’hui. Il nous fait entrer dans Son Alliance pour que nous puissions vivre dans notre plus grande joie et notre plus grand bonheur, en Dieu-même, dans la communion qui unit le Père, le Fils et l’Esprit Saint, dans cet échange d’amour où le Père se donne tout entier et ne retient rien, et donne tout à celui qui reçoit, et celui qui reçoit tout, on l’appelle Fils. Et le cadeau que le Père fait au Fils, c’est l’Esprit Saint. Entre le Père et le Fils, c’est la même réalité, c’est Dieu, Dieu qui se donne, Dieu qui reçoit. Entre l’Esprit Saint, le Fils et le Père, même réalité : Esprit qui est donné, Fils qui reçoit, Père qui se donne. Et donc Dieu veut nous faire entrer dans cette communion d’amour, dans cet échange qui est, pour Dieu, de toujours à toujours, un amour parfait, un amour qui est absolument libre, un amour qui est absolument fidèle, un amour qui demeure absolument toujours, un amour qui donne vraiment la vie. Et Dieu veut nous faire entrer dans Sa communion, dans Son Alliance, pour que nous aussi nous puissions poser des actes libres, pour trouver la joie et le bonheur ; pour que, nous aussi, nous puissions vivre dans la fidélité, dans le « pour toujours » et la stabilité du « pour toujours » et dans la fécondité, cette dimension qui donne la vie. Dimension peut-être la plus mystérieuse, puisqu’à ce moment-là nous ne maîtrisons rien.
III – l’image et la ressemblance
Oui, Dieu a dit « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance », voilà le projet de Dieu pour nous : nous faire entrer dans Sa communion, dans Sa « périchorèse », dans Sa danse d’amour. « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance » et la parole suivante est : « Dieu crée l’homme à Son image, à Son image, Il le crée, homme et femme, Il les crée. » Alors on pourrait se poser la question : mais du coup, la ressemblance, où est-elle ? Dieu dit : faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, et puis, ensuite, Dieu crée l’homme à Son image, point… Pas tout à fait point : Dieu crée l’homme à Son image, à Son image Il le crée, homme et femme, Il les crée. La voilà, la ressemblance ! Elle n’est pas donnée toute cuite dans un paquet cadeau et on aurait juste à ouvrir. C’est un chemin de relations, un chemin d’échanges que nous sommes invités aujourd’hui à vivre sur la terre, pour nous entraîner, pour nous préparer à l’échange parfait que nous aurons au ciel. Nous sommes sur la Terre en quête de la ressemblance pour entrer dans la communion. Oui, l’Alliance avec Dieu nous est donnée ; mais pour la perfection de cette Alliance, il y a un petit peu de travail. Dieu nous fait le don, le cadeau de la différence des sexes, homme et femme : nous sommes semblables, et c’est ce que reconnaît Adam, « la voici la chair de ma chair et l’os de mes os » et, en même temps, absolument différents, un vis-à-vis, quelqu’un qui n’est pas moi. Et je vais pouvoir entrer dans une relation, un échange, un amour vrai, un amour parfait : en fait, l’amour de Dieu lui-même.
Alors on a dit ça : c’était beau, voilà le projet de Dieu pour nous. Et c’est une bonne nouvelle, très concrètement cela veut dire que si le « pour toujours » est vrai, je pourrai toujours m’appuyer sur mon mari et sur ma femme. Et puis, en fait, ce « pour toujours » de l’homme et de la femme, qui est, peut-être, la plus belle image, la plus belle ressemblance de Dieu sur la terre, cela se déploie aussi dans tous les autres amours que nous pouvons avoir sur la Terre. L’amour des parents envers les enfants, l’amour des enfants envers les parents, l’amour des frères envers les sœurs, et réciproquement, l’amour des belles-mères, pour les belles-filles… voilà, et on se rend compte que tout ne se déploie pas parfaitement. Il y a toujours une quête de perfection, avec un certain nombre d’échecs ! Mais Dieu ne nous abandonne pas, Dieu nous prend comme collaborateurs, Il nous dit : ‘cette ressemblance, eh bien, Je vous confie la mission de la chercher, de la trouver’. Il fait de nous des acteurs finalement de notre propre perfection, de notre propre sainteté, de notre propre bonheur, de notre propre joie ! (Ce sont tous des synonymes).
En Chemin
Alors, on arrive là : on a vu la Bonne Nouvelle, et puis on rentre dans le concret de tous les jours… et là on voit que… c’est un peu compliqué ! Je vous le disais : les disciples, chez saint Matthieu, réagissent : Cela ne vaut pas le coup de se marier à ce compte-là, ce n’est juste pas possible, on ne va pas y arriver. Et, d’une certaine manière, c’est ce que leur répond Jésus : oui, vous n’y arriverez pas. Vous n’y arriverez pas sans moi : « Il y a ceux à qui c’est donné », et en fait, tous ceux qui ont un cœur ouvert, tous ceux qui se tournent vers Dieu en confiance, ça leur est donné. Et c’est là qu’il faut lutter contre notre propre péché, nos propres manques à l’amour, nos propres fermetures au projet de Dieu pour nous. Oui, ce « pour toujours » peut nous sembler être un piège, on connaît trop d’échecs. Et, pourtant, c’est une bonne nouvelle ! Pour cela, il faut en être convaincu, il faut vouloir le mettre en œuvre et y mettre toute notre force, toute notre énergie, tout ce que nous sommes. En fait, il s’agit d’aimer.
Et si ça a raté, Eh bien, Dieu nous aime, et ce n’est pas négociable : Dieu nous aime. Il tient à nous, nous sommes la perle précieuse, et Il continuera à nous aimer, toujours, parce que Son amour, lui, est fidèle, et il l’est pour toujours. « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. » Ce que Dieu a uni, c’est d’abord Lui avec nous et nous avec Lui. Alors, nous pouvons nous reposer sur Lui pour trouver certainement de nouveaux chemins en direction de la ressemblance, pour entrer vraiment dans cette communion d’amour à laquelle nous sommes appelés, la seule chose qui peut combler nos cœurs. Aujourd’hui encore, nous pouvons décider de nous laisser aimer et d’aimer en retour.