Être disciple

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Homélie 19 septembre 2021 – 25e dimanche de To, B
par l’abbé Gaël de Breuvand
Sg 2, 12.17-20 ; Ps 53 ; Jc 3, 16 – 4, 3 ; Mc 9, 30-37

Les lectures qui nous sont données aujourd’hui, on pourrait les réunir sous l’idée des « deux voies » : il y a deux chemins pour mener notre vie, deux manières, deux arts de vivre : il y a un art de vivre qu’on pourrait appeler mondain, et un art de vivre qu’on devrait pouvoir appeler chrétien.

I – Signe de Contradiction

La Première Lecture est issue du Livre de la Sagesse, c’est un des derniers livres à avoir été écrit dans la Bible, dans l’Ancien testament, peut-être 50 ans avant Jésus. Et ce livre a été écrit dans un contexte particulier puisqu’il a été écrit en grec, et non pas en hébreu ; et il a été écrit au sein de la communauté juive en Égypte. Et, au sein de cette communauté juive d’Égypte, il y a deux sortes de réactions. Ceux qui disent : on ne veut pas être différents de tous ceux qui nous entourent. Et en choisissant de ne pas être différents de tous les autres Égyptiens, eh bien, ils vont faire des compromis ; et du coup leur judaïté, leur fidélité à Dieu s’en ressent un peu, ou peut-être beaucoup d’ailleurs. Et puis, au milieu de ces Juifs, il y en a d’autres qui disent : non, nous voulons rester fidèles aux traditions et à tout ce que nous avons reçu de nos pères ; nous allons donc vivre la Bible, la Loi juive, dans toute sa radicalité. Mais, voilà, à partir du moment où quelqu’un décide de vivre un peu différemment, il est comme un reproche vivant. Et c’est ce qu’on entend : « le juste nous contrarie », le juste, en tout cas celui qui essaie de vivre la Loi, justement, nous contrarie. « Il s’oppose à nos entreprises », peut-être même qu’il ne fait rien, mais le fait même d’être là est un reproche vivant. Cette situation existe encore aujourd’hui, vous le savez bien. Celui qui, dans un milieu professionnel, où tout le monde a l’habitude de tricher un petit peu, – peut-être d’être pas forcément tout à fait honnête -, celui qui choisit l’honnêteté est décalé, et peut-être même qu’il sera critiqué ! Dans notre société toute entière, lorsqu’on prend des positions éthiques, forcément, on est décalé et critiqué. De fait, ce qui était vrai cinquante ans avant Jésus est toujours vrai aujourd’hui. Et ce qu’il se passe dans le Livre de la Sagesse, autrement dit, la persécution de ceux qui veulent être fidèles au projet de Dieu, eh bien, cela s’accomplit et cela s’accomplira encore aujourd’hui. D’ailleurs, cela s’est accompli exactement pour Jésus : « si le juste est fils de Dieu, Dieu l’assistera et l’arrachera aux mains de ses adversaires. Soumettons-le à des outrages et à des tourments, condamnons-le à une mort infâme, puisque quelqu’un interviendra pour lui ! ». On a déjà entendu ces paroles : c’est dans le récit de la Passion, lorsque Jésus est sur la Croix ; on lui dit : « Appelle ton Dieu, appelle Celui qui te sauvera. » Oui, choisir le projet de Dieu, c’est, par le fait même, devenir un signe de contradiction.

II – S’ajuster au projet de Dieu

Dans la Lettre de saint Jacques – j’attaque la deuxième partie – il y a là aussi une opposition entre les deux voies : dans la communauté chrétienne à laquelle Jacques s’adresse, il y a, dans les chrétiens, certains qui ont choisi les usages du monde. Que sont les usages du monde ? C’est tout ce qu’il y a dans notre cœur : un besoin de reconnaissance, un besoin de pouvoir, un besoin de confort, un besoin de richesse. Tout cela, qui vient primer sur l’appel de Dieu. Et oui, dans les communautés mêmes chrétiennes, il y a des disputes, des jalousies, des médisances, qui ne devraient pas être là. Et saint Jacques est attristé par cette situation. De fait, nous le savons, dans nos communautés, aussi, il y a ce genre de tentation, et peut-être même qu’on y tombe. C’est le combat que chacun doit mener personnellement. Dieu a un projet pour nous : et il s’agit, pour nous, de changer, pour nous adapter à ce projet ! Il ne s’agit pas de faire changer le projet de Dieu ! C’est un petit peu notre tentation : lorsque j’ai une habitude, dont je n’ai pas trop envie de changer, je me dis : c’est bon, le Bon Dieu veut bien… C’est un peu facile ! Et cela ne me fait pas grandir… Ce n’est pas le vrai chemin de la joie et du bonheur, car c’est cela que Dieu veut pour nous : la joie et le bonheur. La vie chrétienne, c’est d’accepter de se laisser changer. C’est peut-être ça le plus difficile, c’est là que nous devons mener un vrai combat, et l’ennemi, dans ce cas-là, c’est bien souvent juste nous, moi.

III – Vouloir la première place, oui ! mais selon le chemin de Jésus

Et dans l’Évangile, là encore nous faisons face à ces deux chemins, à ces deux voies. Jésus, pour la deuxième fois, annonce que « le Fils de l’Homme va être livré, qu’Il va souffrir, qu’Il va mourir et qu’Il ressuscitera le troisième jour ». Alors, par rapport à la semaine dernière, il y a un progrès. Les disciples ont entendu qu’il y avait une question sur la Résurrection. La fois précédente, ils ne l’avaient pas entendue ; mais ils n’y comprennent rien, et ils n’osent pas demander. Mais ils ont bien compris que Jésus, en tous les cas, doit mourir. Donc, la place est vacante… donc, quand ils déplacent, quand ils sont entre eux, ils se demandent qui sera son successeur, parce que c’est ça la question. « Qui d’entre nous est le plus grand ? » Sous-entendu, « qui va prendre la place de Jésus ? » Et quand Jésus leur pose la question : « De quoi discutiez-vous en chemin ? », ils sont un peu gênés, et on les comprend : cela ne se fait pas de parler de succession alors que le « défunt » n’est pas encore mort. Et Jésus ne leur reproche pas d’avoir voulu prendre cette place-là. C’est ça qui est étonnant : vous voulez la première place ? Vous avez raison !

Et là, Il nous demande une conversion. Parce que la première place, oui, nous avons le droit et même le devoir de la vouloir, mais, pour l’obtenir, cette première place, il faut être le dernier de tous et le serviteur de tous. Ça, c’est juste l’inverse de l’esprit du monde ! Les disciples, eux, étaient bien dans l’esprit du monde : le premier, c’est celui qui écrase tout le monde, c’est celui qui a la première place, celui qui est reconnu, celui qui est célèbre, celui qui est puissant… Et Jésus leur dit : non, non : le premier, c’est celui qui sert, qui se fatigue, pour la joie et le bonheur de tous ceux qui sont autour de lui. Et pas seulement de ses amis, de ses proches, de ses égaux. C’est alors qu’a lieu ce moment, qui est pour nous plus étonnant : on le perçoit moins bien qu’à l’époque. À l’époque, un petit enfant, jusqu’à 7-8 ans, c’est un « infans », c’est celui qui ne parle pas, et donc en fait il n’est pas vraiment digne… Cela se comprend : d’un aspect culturel, il y a une telle mortalité infantile qu’il vaut mieux ne pas trop s’attacher aux enfants – c’est terrible de dire ça ! – Mais du coup, quand Jésus prend cet enfant, le met au milieu et dit : « cet enfant-là, vous devez vous mettre à son service, vous devez l’accueillir en mon nom », eh bien, c’est provocant ! parce que, – et là il y a tout ce que l’on sait, tout ce que l’on a appris du projet de Dieu, – parce qu’il est une perle, une merveille aux yeux du Seigneur, nous sommes invités à nous mettre à son service. Alors, Il présente cet enfant ; mais évidemment, nous pouvons élargir à tous les pauvres, que ce soit matériels, culturels, intellectuels, que ce soit dans la santé : tous les pauvres… Reconnaître aussi notre propre pauvreté. Être un serviteur.

Vous le savez, nous sommes au chapitre 9 de l’Évangile selon saint Marc, eh bien, il nous fait penser assez fortement au chapitre 25 selon saint Matthieu. « Chaque fois que vous accueillerez un de ces petits qui sont les miens en mon nom, c’est moi que vous accueillerez. » Nous sommes invités à être pleinement serviteurs, à être des rois, au sens chrétien du terme. Serviteur de tous, ça c’est un titre de gloire ! Ce n’est pas confortable, ce n’est pas facile, c’est même un peu à l’opposé de tout ce que le monde nous vend, peut-être même de ce que nous avons au fond du cœur.

C’est ma conclusion : il s’agit pour nous, aujourd’hui – et c’est un choix qu’il va falloir reprendre demain, et après-demain, et chaque jour – aujourd’hui, il s’agit de choisir entre deux voies : le chemin du monde, qui ne va pas bien loin, car, au plus loin, il s’arrête au jour de notre mort ; ou le chemin du Christ, la voie de Dieu. Oui, il est difficile de choisir le chemin qui nous donne la vie, il est difficile de suivre le Christ en vérité, parce qu’en nous, il y a comme un besoin de reconnaissance, il y a comme un besoin de confort, il y a comme un besoin de puissance. Mais, voilà, il s’agit pour nous de faire ce choix : suivre le Christ ; et Lui, le Seigneur nous aide, Il est là, Il nous accompagne tous les jours, Il est là. Après, la question est : comment je me laisse aider par Lui ? Vous le savez bien : parole de Dieu, prière, sacrements. Avec le sacrement de l’Eucharistie, le dimanche ; avec le sacrement de réconciliation chaque fois que nous en avons besoin. Et puis dans la rencontre de nos frères ; le Christ est là et Il veut nous emmener sur le vrai chemin, le chemin qui nous conduit vers la vraie joie et le vrai bonheur, le chemin pour lequel Il nous a faits, le chemin sur lequel Il est passé le premier et que nous sommes invités à emprunter nous aussi.