Jésus, manifestation de Dieu libérateur – 3e dimanche de Carême – année B

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Homélie du 7 mars 2021
par l’abbé Gaël de Breuvand
Ex 20, 1-17 ;
ps 18 ;
1 Co 1, 22-25 ;
Jn 2, 13-25 

Jésus, prophète, messie, Dieu

Nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Nations païennes. Dans l’épisode que nous avons entendu aujourd’hui, Jésus se présente comme un prophète : « Enlevez cela d’ici, cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce » : c’est quasiment une citation du prophète Jérémie. Il prend à son compte ce qu’avait annoncé le prophète. Et même plus : non seulement, il se prend pour un prophète, mais en plus Il se prend pour un Messie. Le prophète Zacharie avait dit « En ce jour-là, au jour du Messie, il n’y a aura plus de marchands dans la maison du Seigneur. » Jésus se prend pour un prophète, Jésus se prend pour un Messie, et même plus encore, Il parle de la « maison de Son Père », Il se prend pour Dieu ! Alors oui, c’est bien un scandale pour les Juifs.

II – Dieu créateur, Dieu libérateur

Ce que les Grecs cherchent, c’est une sagesse ; mais voilà que le projet de Dieu n’est pas d’abord de nous donner une sagesse, mais le projet de Dieu est de nous donner l’amour. Et, nous le savons, l’amour n’est pas toujours sage. Alors, comment fait-il ? Il est d’abord un Dieu créateur, Dieu, Père, qui nous crée à Son image. Et, vous le savez, dans le récit de la Genèse, au chapitre 1, le récit de la Création : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, et la terre était informe et vide, et l’Esprit de Dieu planait sur les eaux. Et Dieu dit « Que la lumière soit », qu’il y ait un ciel, qu’il y ait une terre, qu’il y ait le soleil et la lune – pardon, des lampadaires dans le ciel -, qu’il y ait les animaux, qu’il y ait les oiseaux qui volent, qu’il y ait les poissons, et qu’il y ait les hommes. » « Dieu dit », et cette Parole de Dieu est répétée dix fois, dix paroles qui donnent la vie. Dix paroles qui permettent d’établir une relation entre Dieu et Sa création, entre les différents éléments de la Création, entre les hommes. Et, nous, hommes, nous le savons, nous sommes capables de la plus belle des relations : aimer.

Quand Dieu reprend la parole, pour Son peuple qui quitte l’Égypte et qui est dans le désert, au pied du Mont Sinaï, Dieu donne une nouvelle Parole. Vous le savez, ce qu’on a entendu en Première Lecture, on les appelle les Dix Commandements. Alors, le mot « commandement » peut être trompeur, parce que, quand on dit « commandement », on a l’impression qu’il faut mettre le petit doigt sur la couture… Or, ce n’est pas tout à fait ça. En hébreu, c’est « DaBaR » et, en fait, c’est le même mot qui désigne des paroles de Création. Ce sont des paroles de vie. Quand Dieu donne ces dix paroles, le « décalogue » – c’est justement ça, dix Paroles – c’est pour nous redonner la capacité d’aimer, qu’on avait un peu perdue. Pourquoi l’avait-on perdue ? Parce qu’on était esclaves. Vous l’avez entendu, pourquoi est-ce que Dieu donne ces dix paroles ? « Je suis le Seigneur, Ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte de la maison d’esclavage. » Dieu se présente à nous non seulement comme un Dieu créateur, comme pouvaient l’être tous les dieux païens de ce temps-là, mais Il se présente, en plus, comme un Dieu libérateur, et ça, c’est assez original ! Et voilà qu’Il donne dix paroles, et ce sont des paroles de libération : Tu n’auras pas d’autre dieu en face de moi, tu ne te feras pas d’idole, parce que les idoles, elles t’enferment, elles t’enchaînent. Alors, aujourd’hui, nous ne sculptons plus de dieux en bois pour les adorer, nous ne sentons pas obligés de leur offrir des sacrifices… mais nous avons largement remplacé ces croyances païennes, classiques, peut-être naïves, par d’autres croyances, que l’on trouve bien plus intelligentes, mais qui, en réalité, ont la même finalité : elles nous enfermement, elles nous emprisonnent, elles nous attachent, elles nous lient.

Le Seigneur Dieu veut nous donner une parole de libération, et ce sont ces dix commandements. Mais, au fond, ces dix commandements, on les avait déjà au fond du cœur, parce que Dieu nous avait déjà créés avec ça. Libération, oui, car être voleur, poser des actes de vol, eh bien, cela m’enferme ; tuer, cela me blesse, et ça blesse mon frère, et ça blesse la société. Se reconnaître dépendant de Dieu et de Dieu seul, là, c’est bien un acte de libération, c’est étonnant, non ? Parce que, du coup, je suis libre de tous les autres liens.

Dans les actes de libération qui sont proposés par Dieu, il y a « Souviens-toi du jour du Sabbat pour le sanctifier. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage, mais le septième jour est le jour du repos ou de la contemplation : un sabbat en l’honneur du Seigneur Ton Dieu ». Qu’est-ce que le Seigneur nous invite à faire ? Il nous invite à nous arrêter, et peut-être juste simplement à nous taire. Et je vous dis ça en parlant beaucoup ! Mais c’est cela. Bernanos disait que notre monde contemporain, – et il disait ça au début du XXe siècle – : « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». Autrement dit, le fait d’être capable de contempler ce que je suis en moi-même, le fait d’être capable de contempler la Création, le fait de contempler Dieu lui-même et de rendre grâce pour cela, eh bien, cela implique que je m’arrête, et que je me taise. Et aujourd’hui encore, plus qu’à l’époque de Bernanos, tout veut nous empêcher de nous arrêter et de nous taire. Un des plus grands ennemis actuels, c’est celui-là (en montrant un smartphone). Car quand je n’ai rien à faire, au lieu de m’arrêter et de me poser, eh bien, il faut que je m’occupe… Et, du coup, je ne laisse plus de place au Seigneur Dieu, plus de place à la libération, plus de place à la joie que Dieu veut me donner.

III – Colère libératrice de Jésus

Jésus, en entrant dans le temple, veut libérer Son peuple. Jésus, en entrant dans le temple, se met en colère, c’est rare ! C’est l’application concrète de la jalousie que Dieu nous porte. Bien sûr, Il n’est pas jaloux de nous, Il est jaloux pour nous : nuance ! Jésus veut que nous soyons libres, comme Lui, et Il prend tous les moyens pour cela. Et quand Il voit que nous nous enfermons dans notre esclavage, eh bien, il se fait un fouet avec des cordes, et Il chasse les brebis et les bœufs, car Il ne peut faire autrement, car si vous dites à la brebis et au bœuf : « Allez-vous-en, les enfants », ils ne s’en iront pas ! Il les chasse ; et puis ensuite Il renverse les tables des changeurs ; parce qu’il faut faire cela, parce que les changeurs sont un peu attachés à leur argent et ils auraient du mal à lever les yeux si on ne renversait pas leurs tables. Il n’est pas dit que Jésus leur tape dessus ! Et puis Jésus dit aux marchands de colombes : « Allez-vous-en », on pourrait presque entendre : « Mes amis, allez-vous-en ». On voit cette colère de Jésus : c’est étonnant, parce qu’autant pour nous la colère est globalement un défaut, parce qu’on ne sait pas la maîtriser et qu’elle casse tout sur son passage, autant pour Jésus, Il ne se met pas très souvent en colère, mais cette force, qui est en Lui, est absolument maîtrisée. Cette colère lui permet de poser l’acte ajusté à chaque population. Pour les brebis et les bœufs, il faut les chasser en leur tapant dessus, pas trop fort ; pour les changeurs, il faut renverser les tables, et pour les marchands de colombes, il faut leur dire : « Allez-vous-en, cessez de faire de la maison de Mon Père une maison de commerce. »

Et Jésus nous apprend que le temple par excellence, c’est le sanctuaire de Son Corps, cela implique, pour nous qui ressemblons tant à Jésus, que notre sanctuaire, c’est notre cœur, notre corps, notre être tout entier, et que le premier lieu où nous avons à chasser toutes les idoles de notre temple, c’est dans notre cœur. C’est bien pour cela que le carême, – on l’a rappelé dans la prière d’ouverture -, nous invite à prier, à jeûner, à partager, pour laisser la place à Dieu dans nos vies, car c’est Lui qui nous libère