Homélie de Monseigneur Olivier de Germay – 4e dimanche de Carême

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par l’archevêque de Lyon, Monseigneur de Germay,
à l’occasion de sa visite en paroisse
sur les textes de l’année A, en raison du parcours catéchuménal de Léa, Laura et Élodie

1 S 16, 1b.6-7.10-13a ; ps 22 ; Ep 5, 8-14 ; Jn 9, 1-41

Frères et sœurs,

nous venons d’entendre ce long Évangile, qu’on appelle l’évangile de l’aveugle-né. Vous l’avez entendu, il est question d’une guérison miraculeuse, puisque cet homme était aveugle de naissance : Jésus va le guérir pour qu’il voie. Mais, en réalité, ce récit, c’est beaucoup plus que l’histoire d’une guérison miraculeuse. En fait, saint Jean, qui nous rapporte cela, nous fait comprendre que, finalement, le seul qui y voit clair, c’est cet aveugle qui a été guéri par Jésus. Tous les autres n’y comprennent rien, ils ne voient rien, ils sont aveuglés. Cet homme va parcourir tout un itinéraire spirituel grâce à Jésus à partir de sa guérison. Il est aveugle, Jésus le guérit, mais ça ne s’arrête pas là : Jésus va lui permettre de parcourir tout un itinéraire spirituel qui fait que, à la fin du récit, il est capable de poser un acte de foi. Et la foi, c’est être capable de voir invisible ; il voit Jésus, qui est un homme comme un autre, apparemment, mais il voit que Jésus est un homme de Dieu, c’est un envoyé de Dieu, c’est un prophète. C’est le Messie ! Et il a pu faire cet itinéraire spirituel, contrairement aux autres, car c’est un pauvre, un pauvre de cœur. C’est quelqu’un qui est profondément humble. Vous avez entendu plusieurs fois dans le récit : quand on lui pose une question, il dit : là, je ne sais pas. Ce n’est pas quelqu’un qui prétend connaître, et en même temps c’est quelqu’un qui n’a pas peur de dire la vérité.

Alors que, si on regarde les autres qui interviennent dans ce récit : il y a d’abord les voisins, les voisins de cet homme, et le récit nous dit qu’une fois qu’il a été guéri, les voisins se disent : non, ce n’est pas lui, c’est quelqu’un qui lui ressemble ! Cela veut dire que, tous les jours, ils passaient devant lui, ils ne l’avaient jamais vraiment regardé, car c’est un pauvre, un mendiant, pas intéressant. Ils avaient vu l’extérieur, ils l’ont jugé sur l’apparence. Ce n’est pas vraiment une personne, c’est un mendiant. Vous savez, ce sont des choses qui peuvent nous arriver aussi. Parfois, on juge sur l’extérieur, sur l’apparence, on met des étiquettes, en fonction du niveau social, des idées politiques, de la couleur de peau, de ceci, de cela, et puis on croit connaître les gens. Or, vous avez entendu, dans la Première Lecture, il est écrit « Dieu ne regarde pas comme les hommes. Les hommes regardent l’apparence, mais Dieu regarde le cœur ». Et nous, il faut que nous apprenions à regarder comme cela : pas simplement de l’extérieur, pas en fonction de l’apparence, mais à voir plus en profondeur. Et on se rend compte qu’une personne est beaucoup plus que ce qu’il n’apparaît. Vous savez, cela peut concerner notre regard : je vois des jeunes devant, cela peut être à l’école, le regard qu’on pose les uns sur les autres, cela peut être sur la famille, cela peut être sur son conjoint ; il faut demander à Jésus qu’Il nous ouvre les yeux, qu’Il nous aide à avoir ce regard qui va au-delà de l’apparence.

Ensuite, dans ce récit, il y a les voisins, mais aussi les parents : alors eux, ne peuvent pas nier qu’il a été guéri : ils ont été témoins de cette guérison, de l’intervention de Dieu, ce qu’on appelle dans l’Évangile un signe, un signe de Dieu. Mais, vous le savez, un signe, cela renvoie à autre chose, cela renvoie à une signification, et eux refusent complètement d’interpréter ce signe. Et quand on leur demande, ils disent : nous, on ne sait rien, allez lui demander, nous, on n’a rien vu, on ne sait rien. Et pourquoi, nous dit le texte ? Parce qu’ils avaient peur, ils avaient peur des Juifs. Ils se sont dit : on va avoir des problèmes si on dit que ça vient de Jésus. Cela aussi, cela peut nous rejoindre, dans le sens où Dieu intervient dans nos vies : Dieu nous fait des signes, Dieu nous lance des appels, et parfois – c’est plus ou moins conscient – parfois, on a peur parce qu’on sent bien que quand Jésus dit : « va plus loin dans ta foi, ne reste pas comme ça à l’extérieur, viens, suis-Moi », on sent bien que cela va bousculer des choses dans notre vie, cela va remettre des choses en question, et on n’aime pas tellement se remettre en question… Alors, parfois, on ne veut pas voir ces signes de Jésus, on ne veut pas les interpréter.

Et puis ensuite, il y a les Pharisiens. Alors eux, c’est le summum : ils sont complètement aveuglés dans leurs certitudes, dans leur suffisance. Et, je dirais même plus, dans leur haine. En fait, ils ont la haine de Jésus : car cela fait un moment déjà que Jésus met le doigt sur leurs contradictions, et eux n’y voient rien, ni le signe ni l’interprétation. En fait, ce signe, c’était déjà une façon de montrer qui est Jésus : cela révèle Son identité, ce n’est pas un homme comme un autre. Mais, bien sûr, eux n’ont pas du tout accès à ça. Ils sont enfermés dans leur haine, et du coup ils sont dans une attitude de condamnation, ils condamnent l’homme qui a été guéri : « toi tu n’es qu’un pécheur, dégage, Jésus c’est un pécheur ». Pour nous, cela nous apprend que si nous voulons connaître vraiment quelqu’un, il faut poser sur lui un regard de bienveillance. On ne connaît pas une personne tant qu’on ne pose pas sur elle un regard de bienveillance.

Mais il y a un autre enseignement que l’on peut tirer de cette attitude des Pharisiens : c’est que, si nous voulons grandir dans la connaissance de Dieu – et toute notre vie chrétienne est un itinéraire vers Dieu – et si nous voulons progresser dans notre vie spirituelle, si nous voulons vraiment approfondir pour savoir qui est Jésus, il faut que nous soyons des pauvres de cœur, que nous soyons humbles. Il faut accepter de nous remettre en question, remettre en question nos certitudes, nos idéologies, accepter de ne pas pouvoir tout maîtriser – cela rejoint des choses que l’on s’est dites avec les parents ce matin – de ne pas tout comprendre, de ne pas tout maîtriser, j’allais dire d’avoir un cœur d’enfant. Il faut humblement se tourner vers Jésus et Lui dire « Seigneur, ouvre mes yeux, ouvre les yeux de mon cœur, apprends-moi à voir l’invisible » ; et alors ce qui est magnifique, c’est qu’à ce moment-là, effectivement, Jésus va ouvrir nos yeux, nos yeux sur les autres : comme je vous le disais tout à l’heure, les autres, souvent, on a l’impression de les connaître, ou plutôt, souvent, on les a enfermés dans un aspect de leur vie : telle personne a mauvais caractère, ou tel ou tel défaut, et je ne vois plus que ça. Et Jésus va m’ouvrir les yeux sur les autres, et on va se rendre compte que ça peut être n’importe quelle personne, par exemple une personne SDF devant qui je passe tous les jours, et je vais oser la rencontre, et je vais entrer en dialogue, et on est étonné de voir que ces personnes, qui sont au banc de la société, portent en elles parfois une richesse incroyable. Mais ça peut être un de mes proches, et Jésus va m’ouvrir les yeux sur les autres. Il va m’ouvrir les yeux sur moi-même. On croit se connaître, mais on est loin de se connaître : c’est en se laissant éclairer par Jésus que l’on peut se connaître.

Et puis, Il va m’ouvrir les yeux sur Lui-même, sur qui Il est. Et alors-là, c’est magnifique, parce qu’on réalise peu à peu qui est Dieu, qui est Jésus, combien Il est important, combien Il va nous sauver. Et puis, à un moment donné on se dit : « c’est incroyable, comment j’ai pu passer autant de temps, autant d’années en restant complètement à l’extérieur, soit en vivant sans Jésus, soit en ne lui laissant qu’un petit strapontin dans ma vie ? » Alors que Sa place est au centre, Il est tout pour moi, Il est à l’origine de mon existence, Il est celui qui me fait vivre, Il est Celui qui peut me libérer, Il est Celui qui va me faire entrer jusqu’en vie éternelle, qui va me donner ce à quoi j’aspire au plus profond de moi-même. Et, ainsi, nous avançons, nous apprenons à devenir disciples de Jésus, et notre vie se transforme de l’intérieur.

Seigneur Jésus, viens ouvrir nos yeux, apprends-nous à voir l’invisible, apprends-nous à Te reconnaître, reconnaître Ta présence dans notre vie. Amen.