Homélie du 4e dimanche de TO, année B
Dt, 18, 15-20 ; ps 94 ; 1Co 7, 32-35 ; Mc 1, 21-28
C’est la transcription d’une prédication orale…
« Accorde-nous, Seigneur, de pouvoir T’adorer sans partage, et d’avoir pour tout homme une vraie charité. » C’est la prière de l’Église, c’est la prière à laquelle nous sommes invités à nous unir, cette demande que nous avons proclamée au début de la messe. Cette prière d’ouverture qui nous donne un peu le thème de notre dimanche. Alors, « T’adorer, Seigneur, sans partage » ? qu’est-ce que c’est que ‘adorer’ ? Si on fait un peu d’étymologie, en latin, « ad » c’est s’approcher, se tourner vers, et le « os » c’est l’oraison, c’est la prière, mais en mettant sa bouche, en approchant sa bouche : nous voulons approcher notre bouche du cœur de Dieu, nous voulons chanter Sa louange. Nous voulons tourner tout notre visage pour regarder notre Seigneur et nous laisser regarder par Lui. Finalement, adorer, c’est un acte qui prend toute notre vie… en tout cas, cela doit prendre toute notre vie. Jésus le dit à la Samaritaine, au chapitre 4 de l’Évangile selon saint Jean : « le Père cherche des adorateurs en esprit et en vérité », autrement dit, sans partage. Et c’est justement ce que nous demandons à Dieu : « Fais de nous des adorateurs sans partage ». Que nous soyons simples, que nous soyons d’un seul mouvement, d’un seul élan.
I – L’appel de Paul à nous donner tout entier au Seigneur
On le perçoit bien, c’est notre relation à Dieu, et nous sommes invités à Lui donner tout, d’une pièce. Alors, si on demande au Seigneur de nous permettre d’être des adorateurs sans partage, c’est peut-être parce qu’on a une petite tendance à ‘se partager’… C’est d’ailleurs le thème même de la Deuxième Lecture, vous savez, celle qui nous fait un peu grincer des dents. On est dans un contexte différent : saint Paul s’adresse à des civilisations différentes, que ce soit la civilisation des Hébreux ou que ce soit la civilisation grecque, où le célibat, ce n’est vraiment pas bon ; au contraire, le célibat, c’est plutôt un signe de malédiction. Du coup, il est là pour revaloriser un peu le célibat, à partir du moment où le célibat est une manière de se tourner vers Dieu. Et il le dira, – pas dans ce passage-là, mais dans Éphésiens au chapitre 5, par exemple, ou dans d’autres – c’est que se tourner, quand on est marié, vers son mari et sa femme, cela a du sens si cela nous tourne aussi vers Dieu. En fait, ce n’est pas : soit j’aime ma femme, (ou j’aime mon mari), soit j’aime Dieu : c’est « et », ou même, encore mieux, c’est « par » : j’aime Dieu par ma femme, j’aime Dieu par mon mari, et lorsque je suis célibataire, eh bien, j’aime Dieu… mais pas grâce à moi, d’ailleurs, mais parce que Dieu me permet de faire ce pas en avant. Le célibat, le célibat consacré, celui des prêtres et des religieuses, c’est un charisme, un don particulier de Dieu, car, effectivement, notre appel général à tous, c’est de se marier et de trouver la vraie joie et le vrai bonheur dans le mariage. Donc, de fait, saint Paul écrit, et c’est surtout là, le point : « Celui qui est marié a le souci des affaires de ce monde, il cherche comment plaire à sa femme, et il se trouve divisé. » C’est le risque que nous avons. Et, de fait, il suffit de regarder notre propre cœur : oui, nous sommes divisés. Nous avons du mal à nous mettre pleinement dans les affaires de Dieu ; par exemple, il y en a toujours qui restent pleinement accrochés à la terre, mais, parfois, pour des futilités… Nous sommes divisés, et d’ailleurs l’Église, depuis toujours, nous explique que notre but sur la Terre, c’est d’être simplifiés, d’être unifiés, d’être purifiés, au sens chimique du terme. Vous le savez, un corps pur, c’est du métal comme l’or, où il n’y a que des atomes d’or, et un corps impur, c’est quand il y a plusieurs atomes différents. Eh bien l’on demande au Seigneur d’être purifiés, pour être unifiés, que nous soyons d’un seul bloc, et ce bloc tourné vers Lui. C’est déjà un combat naturel contre nous-mêmes, parce que le péché vient nous tirailler – ce qu’on appelle en langage technique la concupiscence, autrement dit la tentation : ces tentations classiques, la tentation du pouvoir, la tentation de l’argent, la tentation du plaisir -. Ces tendances-là nous détournent du vrai bien, qui est de regarder Dieu et de nous laisser aimer par Lui, de L’adorer, sans partage.
II – Jésus face à la division, face au diviseur
Et Jésus dans l’Évangile, que fait-Il ? En ce jour du sabbat, ce jour consacré au Seigneur, il rentre dans la synagogue – ce bâtiment consacré à l’écoute de la Parole de Dieu – et là, il fait face à un homme qui n’est plus tout à fait lui-même : il est possédé. Autrement dit, il est divisé – et d’ailleurs c’est très intéressant de voir un homme tourmenté par un esprit impur – celui qui divise, et d’ailleurs c’est le sens même du mot « diable », en grec, « diabolos », c’est ce qui divise – et il se met à crier « que nous veux-tu ? » Il n’est pas tout seul dans sa tête, dirait-on. Et effectivement, il n’est plus tout seul, et l’action de Jésus, c’est de lui rendre son unité, en le débarrassant de ce qui n’est pas lui.
Au début de l’Évangile de saint Marc, il y a plusieurs moments où Jésus fait face à ces esprits impurs, Il fait face au diable. En fait, il y a une petite tendance aujourd’hui à dire que le diable, c’est une façon de parler, ça n’existe pas… Et pourtant Jésus lui fait face, et Il s’adresse à lui comme à une personne, même si le diable, par définition, c’est presque l’opposé d’une personne. Qu’est-ce qui fait notre unité, qu’est-ce qui fait notre être, notre humanité ? C’est le fait d’être en relation, d’être capables de nous laisser aimer et d’aimer en retour. Et le diable, qu’est-ce que c’est ? C’est cet être – un ange ! – qui a refusé cette relation, qui a refusé ce qui le constitue comme « être » quasiment. Alors, comme Dieu l’aime, (car Dieu aime le diable ! Il l’a créé, Il lui veut son bien) eh bien, il le maintient dans l’existence ; mais ce diable, qui est divisé en lui-même – car il refuse ce qu’il est, autrement dit ce nœud de relations – eh bien, il cherche à en entraîner d’autres dans son malheur. Et il cherche à nous entraîner, nous. Alors nous n’avons pas affaire au diable tous les jours, ou toutes les secondes, toutes les minutes ; toutes les tentations de notre cœur ne viennent pas toutes directement du diable, mais il existe quand même. C’est d’ailleurs une chose très intéressante que le pape François – ce devait être sa deuxième prise de parole – nous a parlé du diable comme quelqu’un d’existant, et qui nous pousse à la division. De fait, quand une communauté est divisée, on peut se poser la question de savoir s’il n’y a pas une action diabolique. Quand un être est divisé, quand je suis divisé, je peux me poser la question : est-ce que je ne suis pas tenté particulièrement par le diable ? Mais je ne suis pas perdu pour autant, parce que le diable reste une créature, le diable n’est pas plus fort que Dieu, et Dieu, Lui, veut me sauver, Il me donne Son amour, Il me tend la main en permanence. Il est Dieu : le Christ est toujours capable de dire au diable : « Tais-toi, sors de cet homme ! » Il faut juste que je laisse le Seigneur agir dans mon cœur. « Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur. » C’était le psaume, cette Parole de Dieu qui est une injonction, un appel : ouvrez votre cœur, le Seigneur veut vous sauver. Nous ne nous sauverons pas nous-mêmes, c’est le Seigneur qui nous sauve, et qui nous rend purs, qui nous simplifie, qui nous unifie, et qui nous donne la vraie joie.
Et je vais conclure, avec un tout dernier petit mot : « Accorde-nous, Seigneur, de pouvoir T’adorer sans partage, et d’avoir pour tout homme une vraie charité », parce que, nous le savons, on ne peut pas adorer Dieu en ignorant les hommes. On ne peut pas aimer les hommes en ignorant Dieu, c’est lié. Adorer Dieu en esprit et en vérité, cela implique de savoir lever les yeux vers Lui, accueillir, dans nos vies, Son amour, Son unification, Sa purification, et pour pouvoir un peu plus chaque jour nous donner aux autres, à nos frères, avec une vraie charité, autrement dit, avec l’amour de Dieu Lui-même. Voilà quelques réflexions sur cette Parole de Dieu d’aujourd’hui : laissons-nous toucher par le Seigneur, qui nous aime et qui veut notre joie.