Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il n’est même pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence

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Homélie du 5e dimanche du Temps Ordinaire, année B ;
dimanche 7 février 2021, par l’abbé Gaël de Breuvand
Job 7,1-4.6-7 ; psaume 146 ; 1 Co 9, 16-19.22-23 ;
Mc 1, 29-39

La citation reprise en titre provient de P. Claudel, « Les invités à l’attention. À Mademoiselle Suzanne Fouché », dans : A.-M. Carré (éd.), Dialogues avec la souffrance (Foi vivante. Bibliothèque chrétienne de poche 68), Paris, Spes, 1968, p. 132.

I – Le jour du Seigneur dans la vie de Jésus

Nous sommes à la fin du chapitre 1 de l’Évangile selon saint Marc. Saint Marc nous présente qui est ce Jésus, et il va nous faire arriver à une première conclusion, au chapitre 8 : Il est bien le Messie.

Pour l’instant, nous sommes au tout début de la vie publique de Jésus, et voilà qu’on assiste à 24 heures de sa vie : de l’aube, à l’aube ! Cette journée commence à la synagogue, parce que c’est un jour de sabbat : c’était la lecture de dimanche dernier, et nous avons vu Jésus qui enseignait, et qui a guéri, délivré, libéré, un possédé. Et puis Jésus rentre à la maison, chez Pierre et André, avec Jean et Jacques. Pourquoi fait-il cela ? parce que le jour du sabbat est destiné, consacré à Dieu, et que c’est le jour « ajusté » pour écouter la Parole, lire la Parole, et puis pour vivre fraternellement avec les plus proches, ceux de la communauté familiale, ceux de la communauté paroissiale. Et Jésus – guérissant la belle-mère de Pierre – montre que l’axe de charité, l’axe d’amour, ne s’oppose pas au commandement du repos. Et donc, il guérit… Pour autant, Il est quand même fidèle à ce sabbat : il ne travaille pas, et d’ailleurs on le voit bien puisque c’est seulement à la nuit tombée que les foules viennent pour se faire guérir : à la nuit tombée, puisque le sabbat commence le vendredi soir et se termine le samedi soir, à la tombée de la nuit.  Donc Jésus accomplit son œuvre : il témoigne qu’il accomplit les annonces de l’Écriture : les aveugles verront, les boiteux feront des bonds, exulteront, les sourds entendront, etc.

II – le mal dans la vie de l’homme

Et ça nous pose la question : cette question qui nous est posée assez nettement par la première lecture : mais qu’est-ce que c’est que vivre ? Nous l’avons entendu, Job est comme un peu en dépression ; vous savez ce qui est arrivé à Job : il était riche, il était aimé, il avait des enfants, il était respecté… et voilà qu’il perd tous ses biens, ses enfants meurent, et ensuite il tombe malade, et ensuite il se retrouve au fond du trou, sur son tas de fumier, en train de se gratter… Et Job a là, oui, comme une dépression : la vie, c’est une corvée : se lever, c’est compliqué, toute la journée on attend de se coucher et quand on se couche le sommeil ne vient pas, chaque minute me semble être très, très longue. Et on n’arrête pas de courir… tels des hamsters dans une roue »… et peut-être que – et le contexte d’aujourd’hui y est pour quelque chose – , donc peut-être que cela rejoint finalement des plaintes de notre cœur – « à quoi sert-il de vivre ? on perd son temps… on ne peut rien faire… » De fait, Job pose la question de cette souffrance, pose la question de tous les malheurs qui lui sont arrivés…. Alors ses amis lui disent « mais c’est toi, tu as fait des péchés, et donc, du coup, forcément, tu as des problèmes ! ».

Mais ce n’est pas suffisant pour Job… car il sait ne pas ‘mériter’ cela. Et lorsque, à la fin du livre, Dieu prend la parole, Il confirme : ce n’est pas ça !
Il y a une chose dont nous sommes certains : c’est que la souffrance, la mort, la maladie, le deuil, tout ça, ce n’est pas le projet de Dieu : à l’origine, Dieu nous veut, nous a créés, dans un bonheur, une félicité parfaite ; nous sommes en relation avec Lui, nous sommes en relation les uns avec les autres ; Adam et Ève avec Dieu, Adam et Ève entre eux, et puis dans une relation ajustée à la Création. Mais, voilà : le péché est entré dans le monde, et avec le péché, un certain nombre de conséquences, un désordre ; et dans ce désordre, il y a la maladie, la mort, la souffrance…

III – Au milieu de nos vies, Jésus est là

Alors nous pourrions nous dire : « mais, voyons, pourquoi Dieu ne nous en sort pas ? Jésus est passé par ici il y a 2000 ans, Il a guéri des malades…. Pourquoi est-ce qu’il ne me guérit pas, moi, aujourd’hui, que ce soit de maladie physique, que ce soit de maladie psychologique, que ce soit simplement de solitude, d’ennui, ou que sais-je ? » Alors, c’est peut-être un poète du début du XXe siècle qui l’exprime le mieux (Paul Claudel) : « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il n’est même pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence ». Et c’est, finalement, déjà ce que percevait Job : parce que, dans sa souffrance, dans sa solitude, il s’adresse à Dieu, il lui parle ; il se plaint, mais il se plaint à Dieu : il le considère comme quelqu’un avec qui on peut entrer en relation, quelqu’un qui ne l’abandonne pas : « souviens-toi, Seigneur, ma vie n’est qu’un souffle ». Et dans sa réponse, le Seigneur lui exposera que, oui, Il est là ! Bien évidemment, le projet de Dieu nous dépasse tellement que nous ne pouvons pas tout comprendre ; mais nous sommes invités à tenir fermement la main de Dieu, car Il nous la tend : elle est toujours là près de nous, cette main… et cette main, nous l’avons vue, nous l’avons même touchée : c’est Jésus, le Christ lui-même, Parole incarnée…. Jésus !

Que faire, face à cette souffrance, face à cette maladie, face à cette mort, qui sont notre quotidien ? D’abord, être convaincus que nous ne sommes pas faits pour ça ! De fait, il faut prendre des moyens pour, non pas les effacer complètement – ce n’est pas possible – mais les vivre le mieux possible. Peut-être, ne pas ajouter le mal au mal : il y a suffisamment de mal dans l’ordre naturel des choses pour que nous, avec notre volonté, nous n’en rajoutions pas ! De fait, s’il y a bien un lieu où nous, les chrétiens, – et même tout homme de bonne volonté – pouvons lutter, c’est essayer de faire grandir ce qui dépend de nous : la paix, la joie, l’amour, juste là, autour de moi ! Mais ça ne suffit pas, et c’est un travail sans fin, qui serait vite désespérant…

IV – Le temps de la prière

Alors, qu’est-ce que nous pouvons faire ? Eh bien, là encore, regardons Jésus : qu’est-ce qu’Il fait, Jésus ? Le matin, bien avant l’aube, Il se lève, Il s’en va dans un endroit désert, pour prier… Qu’est-ce que c’est que prier ? C’est se mettre en relation avec le Père. Jésus, qui est Dieu, qui est Fils de Dieu ! Et on peut penser que la relation entre Dieu-Père et Dieu-Fils est absolument parfaite : on parle de « vision béatifique » : le Père regarde avec amour le Fils, le Fils se laisse regarder et aime en retour le Père, et cet Amour, c’est un don tout entier de leur Être, et ce don, c’est l’Esprit Saint lui-même. Père, Fils, et Esprit-Saint, Ils se contemplent, Ils s’aiment ; Ils se donnent les uns aux autres : Ils sont un seul Dieu. Donc, Jésus, Verbe de Dieu incarné, est dans cette vision béatifique, et en même temps Il est pleinement humain ; et toute sa dimension humaine a besoin de prendre le temps de donner un espace à la rencontre avec le Père… Alors, vous allez me dire : « En silence, cette prière-là, cette prière, seul, on a essayé, mais c’est compliqué ! » En langage technique, on l’appelle « oraison » : 10 minutes, un ¼ d’heure… un ¼ d’heure où je me pose devant le Seigneur, et je ne fais rien ! J’essaie de penser à Lui…et je Le laisse penser à moi… En fait, je m’expose. Vous connaissez, cette prière de l’adoration du Saint-Sacrement, quand on expose Jésus : en réalité, vous le savez, cette exposition, c’est pour nous aider à rencontrer le Seigneur. Pour autant, en réalité, Dieu est partout, toujours, avec nous : Il est là ! Eh bien, de temps en temps, nous avons besoin de nous exposer à Lui, de prendre dix minutes. Une journée, c’est 96 quarts d’heure… alors, dix minutes sur ces 96, c’est peu ! pour, juste, être là, et se laisser regarder, se laisser aimer par Dieu… Ce n’est pas si facile, c’est même ingrat, parce que Dieu, vous le savez comme moi, on ne Le voit pas, on ne Le touche pas, on ne L’entend pas… et pourtant Il est là, Il nous aime, et Il n’attend qu’une chose : c’est que nous nous laissions aimer par Lui. Nous avons besoin – ça, c’est pleinement humain, ce n’est même pas une question de civilisation – nous avons besoin de « faire »… Eh bien, pour pouvoir « faire » selon le projet de Dieu, il faut se laisser illuminer par Dieu : c’est pour ça que nous avons besoin de nous arrêter.

C’est d’ailleurs, en fait, la seule chose que nous pouvons réellement faire face à la souffrance et à la maladie : nous rappeler, souvent, que le Seigneur est là, que le Christ, comme nous le rappelle le petit verset de l’alleluia, « le Christ a pris nos souffrances, Il a porté nos maladies… » ça ne veut pas dire que nous ne les avons plus, mais qu’il les porte avec nous, et que tout notre combat spirituel contre nous-mêmes, c’est de Le laisser faire. Alors, laissons-nous aimer, aimons le Père, par le Fils, dans l’Esprit Saint ; aimons-nous les uns les autres, et pour cela, prenons le temps de nous laisser aimer.