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Homélie du 13 septembre 2020
par l’abbé Gaël de Breuvand

I – le pardon, chemin de bonheur

La Première Lecture que nous avons entendue, Ben Sira le Sage, est un des textes les plus récents de l’Ancien Testament, écrit probablement un siècle avant J.-.C. Et Ben Sira nous propose quelques règles, un art de vivre pour trouver la joie et le bonheur. Et, déjà, un siècle avant Jésus, le pardon est à sa place : « Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait, alors à ta prière, tes péchés seront remis. » Qu’est-ce que c’est que pardonner ? C’est la première question. Pardonner, ce n’est pas oublier, non ce serait trop facile, surtout pour le pécheur ! Non, pardonner c’est faire un cadeau, c’est faire le cadeau de soi-même, pour redonner la possibilité d’aimer, pour redonner un chemin de relation. Le pardon vient en réponse à la faute, et plus particulièrement au péché. Car la faute, je peux ne pas avoir fait exprès ; le péché, j’ai fait exprès. Et le péché, vous le savez, la définition même du péché, c’est ce qui coupe la relation à l’autre, c’est ce qui blesse l’amour. Et Ben Sira le Sage, un siècle avant Jésus, nous dit « Pardonne ». « Pardonne », et si toi tu pardonnes, autrement dit si tu redonnes la capacité d’aimer, autrement dit si tu rouvres la relation, alors toi, – tes péchés, les miens,- seront remis. Un siècle avant Jésus, il y a déjà une piste qui nous amène au Notre Père « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Nous enfermer dans la rancune et la colère, c’est chose abominable, dit encore Ben Syrah, c’est finalement se refuser à accomplir ce pour quoi nous sommes faits. Dieu est Amour, Dieu crée l’Homme à son image, nous sommes faits pour aimer ; sinon, si je reste enfermé dans ma colère et ma rancune, dans l’absence de pardon, eh bien, ce n’est pas la joie et le vrai bonheur que je trouverai, bien au contraire.

II – Pardonner à la manière de Dieu

Et Jésus vient confirmer tout cela. On le connaît par cœur, ce passage. Pierre pense être déjà très généreux, un grand « pardonneur ». « Est-ce que si je pardonne sept fois à mon frère, cela suffit ? » Sept fois, vous imaginez ? Un frère, un ami, un voisin, me blesse, une fois, je lui pardonne, deux fois, je lui pardonne encore, trois fois, ça commence à bien faire, non ? Donc sept fois, c’est bien ! Et Jésus en rajoute : non ça ne suffit pas. Il n’y pas de mesure à l’amour, ou plutôt la seule mesure qu’il y a, c’est Dieu lui-même. Donc, il nous faut pardonner comme Dieu pardonne. Et Dieu ne se lasse jamais de pardonner.

Et puis, Jésus nous donne cette petite parabole ; c’est un peu étonnant, car elle ne vient pas tout à fait expliciter ce que dit Jésus. Il faut pardonner sans cesse, ne pas s’arrêter de pardonner…et Jésus déploie et donne la raison pour laquelle il faut pardonner. Et en fait, c’est déjà ce que disait Ben Sira. Si nous voulons pouvoir accueillir nous-mêmes le pardon dans nos vies, autrement dit l’amour de Dieu, si nous voulons être en relation avec Dieu et nos frères, eh bien, il nous faut rétablir, en tous cas permettre le rétablissement de cette relation. Vous connaissez la différence entre pardon et réconciliation ? Le pardon, c’est un acte de moi, de moi seul dépend le pardon ; et la réconciliation dépend de moi et de l’autre. Ce que me demande Dieu, ce n’est pas d’abord d’être réconcilié, car cela vient en deuxième temps ; ce que Dieu me demande, c’est de faire ce dont je suis maître, c’est à dire du pardon que je peux donner. Si je ferme la porte à l’amour, à la relation, comme ce très riche – parce que pour dépenser 10000 talents, 60 millions de pièces d’argent, il faut quand même avoir un peu d’entregent : 60 millions de pièces d’argent, ça fait 60 millions de journées de travail, c’est beaucoup ! – ce très riche qui refuse de remettre la dette, qui refuse de remettre l’offense, le voilà incapable d’être lui-même pardonné. C’est une parabole, une histoire que Jésus invente pour nous raconter quelque chose du royaume des cieux, il ne faut pas forcément tout suivre au millimètre, mais si Dieu nous montre à quel point c’est dangereux que de ne pas pardonner, ça manifeste cet enfermement de ce serviteur mauvais. Il a reçu le pardon… et il ne le donne pas…

III – Dieu nous donne sa grâce pour nous libérer du non-pardon

Alors, vous allez me dire et vous aurez raison, il y a des cas où on ne peut pas pardonner. « Vous vous rendez compte de ce que m’a fait mon frère ? Vous vous rendez compte de ce que m’a fait ma mère, mon conjoint ? » Et de fait, oui, il y a des moments où le pardon n’est pas à notre niveau, c’est tellement plus grand, tellement plus fort que cela nous écrase, et de fait le Seigneur est venu sur la Terre, Dieu s’est incarné pour pardonner en notre nom, à notre place. En fait, quand Il donne Sa vie par amour sur la Croix, c’est la haine absolue qui le tue. La haine des romains qui Le pensent rebelle, la haine des chefs des prêtres et des Juifs qui pensent qu’Il remet en cause toute la religion.

C’est la haine qui le tue.

Et Jésus, face à cela, leur donne Son amour, Sa vie. Et quand je dis « leur donne, » en fait Il nous donne Sa vie, Son amour. Car, sans cesse, nous péchons, nous nous opposons au projet de Dieu, nous n’acceptons pas l’amour dans nos vies. Dieu veut pour nous la joie et le bonheur. Il nous propose un chemin qui passe nécessairement par le pardon, et si là c’est trop dur, c’est trop grand, le Seigneur nous donne Sa grâce, nous donne Son amour. Et, en fait, Il n’a pas besoin de grand-chose. Peut-être qu’aujourd’hui je ne suis pas capable de pardonner à celui qui m’a fait du mal, mais peut-être que je pourrai, j’en ai le désir, et ça, je peux le présenter au Seigneur. « Seigneur, tu vois bien que je n’arrive pas à pardonner, mais j’aimerais bien pouvoir. Fais grandir en moi ce désir. » Et peut-être que je n’ai même pas en moi cette capacité à vouloir pardonner. Eh bien, je peux demander au Seigneur de me donner l’envie d’avoir envie de pardonner ; et le Seigneur, de cette toute petite graine, arrivera à faire un grand arbre, un arbre de vie.

De fait, nous sommes, comme souvent, placés devant un choix. Il y a face à nous deux chemins : un chemin qui conduit au bonheur et à la joie ; ce chemin-là, c’est celui de l’amour sans condition, de la même fidélité que Dieu, qui ne se lasse pas de nous aimer ; et puis, il y a un chemin de perdition, d’isolement, qui nous conduit vers la solitude, finalement. Nous pouvons choisir. Ce choix est compliqué, car la pente naturelle, c’est plutôt de choisir le chemin de l’isolement, mais Dieu nous donne Sa grâce. Nous avons été baptisés.  Tout à l’heure, après la messe, il y aura des baptêmes, ces enfants vont recevoir un cadeau qui est la foi, et par cette foi, cette connexion à Dieu, c’est Dieu lui-même qui vient s’installer dans leurs cœurs, qui s’est installé dans notre cœur. Alors c’est avec Lui, par Lui, et en Lui, que nous pourrons faire ce pour quoi nous sommes faits, aimer, et nous laisser aimer ; et cela passe par un chemin de pardon…