Homélie du 24 mai 2020 – 7° dimanche de Pâques, année A
I – Ils sont perdus, ils prient
Voilà, Jésus s’en est allé – nous avons fêté cela jeudi – et on peut penser que les disciples sont un peu perdus : Jésus leur a bien dit : « je vous enverrai une force », mais comme beaucoup d’expériences spirituelles, tant qu’elles ne nous sont pas arrivées, on n’y croit pas vraiment… Donc ils sont un petit peu perdus, et quand ils sont perdus, qu’est-ce qu’ils font ? Eh bien, comme Jésus le leur a demandé, ils retournent à Jérusalem – c’est à 800 mètres, donc on y arrive vite -, et ils se réfugient dans la chambre haute, le Cénacle, et puis là, ensemble, ils prient. Et saint Luc insiste sur le fait qu’ils sont là tous ensemble, et il renomme ces apôtres du Seigneur, ceux qui l’ont suivi pendant 3 ans, les onze qui sont les témoins de la Résurrection. En fait, ce jour-là, juste après le départ de Jésus, c’est comme une – il y en a plusieurs – une des naissances de l’Église : Jésus n’est plus là visible, mais, est-ce qu’il n’est plus là du tout ? Jésus l’avait dit : « lorsque deux ou trois d’entre vous sont réunis en mon nom, je suis là avec eux ». Là, ils sont même un peu plus que deux ou trois, et donc Jésus est présent ; d’une manière pas très palpable, peut-être, mais il est là ;
et ça vaut le coup de connaître par cœur les noms de ces onze qui sont réunis : Pierre, André, Jacques et Jean, Thomas, Jacques et Philippe, Barthélémy et Matthieu, Simon et Jude… Ces douze – ces onze – on va rajouter Matthias, bientôt – ces onze-là, ils sont le canal par lequel la foi nous est arrivée : s’ils n’avaient pas été là, s’ils n’avaient pas témoigné, eh bien, Jésus aurait eu beau ressusciter, nous ne l’aurions pas su ; et nous n’aurions pas pu accueillir, entrer dans ce mystère de salut : Jésus serait mort pour nous pour rien ! et grâce à ces onze, qui ne savent pas encore vraiment ce qu’ils attendent, mais qui attendent, nous avons été mis au courant ! Alors, il y a eu quelques générations, certes, et puis ces onze là – ce sont les onze disciples, les onze apôtres, ceux qui ont été appelés d’une manière toute particulière par Jésus, pour une mission particulière – vous savez, apôtre, ‘apostolos’ en grec, ça veut dire envoyé, missionné, c’est un terme qui a été employé pour désigner l’ambassadeur plénipotentiaire, qui représente absolument l’envoyeur – ces onze, ils ne sont pas tout seuls : ils ont près d’eux Marie, la mère du Jésus, et puis d’autres femmes, peut-être celles qui étaient là au tombeau, et puis les « frères » de Jésus, cette famille élargie. Et c’est là peut-être un premier indice : quand nous sommes un peu perdus, quand nous ne savons pas vraiment où est le chemin, eh bien, il peut être bon de se réunir entre frères et sœurs, et puis d’attendre la Parole de Dieu, attendre l’Esprit Saint qui nous est promis.
II – lâcher-prise pour laisser Dieu agir
On s’en rend compte – c’est une expérience que l’on peut faire – quand des tensions surviennent, c’est peut-être d’abord parce que nous avons oublié de prendre le temps de laisser Dieu nous parler… De fait, les tensions ne sont pas toujours que de mon côté, mais c’est là le petit épisode qui est arrivé chez les missionnaires de la Charité de mère Térésa : le travail commençait à devenir très très lourd ; or les sœurs missionnaires de la Charité ont comme usage depuis leur fondation de prendre une heure de temps de prière silencieuse, d’oraison ; et le travail s’accumulait, et les pauvres étaient là de plus en plus nombreux, il y en avait de plus en plus à accueillir, ils sonnaient à toute heure du jour et de la nuit… et donc une des sœurs de mère Térésa s’approche d’elle et lui dit : ma mère, on n’y arrive plus…on n’y arrive plus, et du coup une heure de prière c’est trop long : il faudrait qu’on réduise et qu’on passe à une demi-heure. Vous savez ce qu’a répondu mère Térésa ? : « si nous n’avons plus le temps, eh bien prenons une heure de plus pour prier ». De fait, pendant un temps, c’est ce qu’elles ont fait ! Je ne crois pas que ce soit resté statutaire dans les faits, mais… effectivement, le temps que l’on donnera à Dieu, en fait, ne sera jamais perdu. Et je peux vous garantir que c’est difficile de lâcher prise ! Et peut-être que notre prière, le temps où on aura dit : « je donne un quart d’heure au Bon Dieu, j’ai l’impression d’être en train d’empiéter sur ce que je dois faire », ce quart d’heure qui sera peut-être complètement pollué par plein de soucis, plein d’inquiétude… ce temps-là, je suis invité à le donner ; et nous le savons : ce que nous donnons à Dieu n’est jamais – jamais ! – perdu.
Après, ça se discerne : comme me le disait un vieux prêtre de ma connaissance : « une dame est venue me voir pour m’expliquer qu’elle sentait l’appel de faire deux heures d’oraison par jour, et je lui ai demandé de ne pas faire deux heures d’oraison par jour, mais d’abord de s’occuper de son devoir d’état… » Évidemment, il faut discerner : on n’est pas tous appelés à avoir une vie de chartreux ! Mais, – comme principe -, quand je n’ai pas le temps, eh bien il faut donner un peu de temps au Bon Dieu, et c’est Lui qui me le revaudra !
Donc les apôtres, en ce jour-là, pendant cette période d’attente de l’Esprit Saint, sont peut-être en train de se projeter, de se dire : qu’est-ce qu’il faut que l’on fasse ? ; peut-être qu’ils sont un peu perdus, qu’ils ne savent pas vraiment quoi faire, eh bien ils soignent le temps de la prière, de la louange : « tous, d’un même cœur, ils étaient assidus à la prière », avec les femmes, avec Marie, la mère de Jésus, et avec ses frères. Et tout cela, ça va leur permettre d’attendre la Promesse, la réalisation du don que Jésus leur a garanti. S’ils n’avaient pas eu ces dix jours de préparation, peut-être que, lorsque l’Esprit serait venu, à la Pentecôte, peut-être que ça serait passé comme l’eau sur les plumes d’un canard : que ça n’aurait pas pénétré : il fallait un peu de temps. Et là aussi, c’est un principe de vie spirituelle : ‘tout, tout de suite’, ça n’existe pas ! Il nous faut laisser le temps au temps, laisser le Seigneur agir, nous pétrir. Nous, on aimerait bien que ça aille plus vite ; non, non, laissons Dieu Maître du temps qu’Il nous donne…
III – La Gloire
Lorsque Jésus enseigne ses disciples, c’est le soir de la Cène, dans l’Évangile – le chapitre XVII, c’est comme une pause dans cet enseignement, parce que Jésus ne parle plus aux disciples : il s’adresse à Dieu ; on appelle ce chapitre la prière sacerdotale de Jésus, la prière de Jésus comme Prêtre. Le prêtre, quelle est sa mission ? C’est celle d’être un pont, de relier le ciel et la terre. Jésus s’adresse au Père comme Fils, et il s’adresse au Père au nom de et pour ses disciples, pour tous les croyants, il s’adresse aussi pour le monde ; il présente ses disciples au Père. C’est cela, la mission du prêtre. Et nous sommes, par notre baptême, unis, connectés au Christ ; nous sommes, par notre baptême, prêtres, prophètes, et rois ; notre mission, c’est de récupérer tout le monde dans notre cœur et de le présenter au Père. Jésus, dans cette prière sacerdotale, nous donne un exemple, nous donne un chemin que nous sommes invités à suivre.
Donc Jésus prie ; et il parle de « gloire » : c’est mon mot de conclusion, juste sur ce point ; c’est un terme un peu compliqué : « glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie. Moi je t’ai glorifié sur la terre, et maintenant, glorifie-moi auprès de Toi, de la gloire que j’avais auprès de Toi avant que le monde n’existe ». Quand on le lit comme cela, on ne comprend pas tout !… Le mot « gloire », en français classique, c’est l’honneur, c’est une sorte de célébrité ; en fait, la ‘gloire’ mondaine, c’est quelque chose de complètement passager, qui ne dure pas. Évidemment, quand Jésus emploie ce mot, c’est juste l’inverse : le mot sous-jacent en hébreu, c’est le mot « Kavod »qui veut dire le poids, ce qui pèse, ce qui compte ; donc ce qui est vraiment réel, en fait ; donc la gloire de Jésus, c’est d’être ce qu’Il est, c’est-à-dire Dieu ; et quand Il glorifie, c’est qu’Il manifeste cette réalité, cette divinité, cette mission de salut. Le Fils glorifie le Père parce qu’il manifeste le Père, le Père glorifie le Fils parce qu’il manifeste le Fils. Et nous sommes invités à rendre gloire à Dieu ; on l’a chanté tout à l’heure : « gloire à Dieu au plus haut des cieux », rendons gloire à Dieu, manifestons Dieu, dans notre monde, dans notre vie ; c’est, d’une certaine manière : faisons toucher à tous ceux qui nous entourent que c’est réel ; cette réalité, elle ne dépend pas de nous, mais de nous dépend la manifestation de cette réalité divine, de ce salut. Oui, Jésus le dit, « je suis glorifié en eux » : il parle de ses disciples, et de tous les croyants qui suivront, donc de nous : Jésus est manifesté et glorifié en nous. Mais pour cela il faut que nous nous laissions faire : cette gloire de Dieu, cette glorification de Dieu, par nos propres forces, par nos propres moyens, nous n’y arriverons pas ; et c’est pour cela que, patiemment, réunis dans la chambre haute avec les disciples, nous prions et nous attendons l’Esprit saint.