Homélie du 1er dimanche de carême A, 26 février 2023
Gn 2, 7-9;3, 1-7a ; ps 50 ; Rm 5, 12-19 ; Mt 4, 1-11
par l’abbé Gaêl de Breuvand,
avec les familles qui préparent le baptême de leur enfant,
Jésus est au désert : Il est poussé par l’Esprit, et Il y rencontre un personnage un peu étonnant, que, peut-être, on a mis de côté ces dernières années : le diable. La Bible nous en parle régulièrement, pas souvent, mais régulièrement.
I- Le diable, le divisé, diviseur
Alors, qui est-il ce personnage un peu énigmatique qui nous dépasse ? Est-il un dieu du mal qui serait aussi fort que le dieu du Bien ? Si je pose la question, c’est que bien évidemment, non ! Qu’est-ce que le diable ? D’abord, c’est une créature de Dieu. Lorsque nous réciterons, tout à l’heure, le credo, nous dirons : ‘Nous croyons « en Dieu, le Père Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible », et quand on parle du ‘monde invisible’, c’est toute la foule des anges, et de choses que, peut-être, l’on ne connaît pas. Ces anges, ce sont des créatures spirituelles, de purs esprits, un peu comme notre âme qu’on ne voit pas. Mais, l’ange, lui, cet esprit, est complet. Il est créé par Dieu pour aimer, pour honorer et servir Dieu. C’est sa vocation, son appel.
Il est créé pour aimer et, par conséquent, s’il est apte à aimer, il est apte à ne pas aimer ; parce qu’on ne peut pas être contraint en matière d’amour : forcément c’est un choix libre. Et parmi tous les anges, il y en a un certain nombre qui ont choisi de ne pas aimer. Or, l’ange étant particulièrement intelligent, ayant une connaissance immédiate de toutes choses, il n’a pas besoin d’apprendre, il sait. Nous, on apprend, on se trompe, et on corrige. L’ange sait tout ce qu’il a besoin de savoir au moment où il en a besoin. Il y a un ange, et quelques autres avec lui, qui ont refusé d’appliquer leur vocation, refusé d’aimer, refusé de servir. Cette créature angélique, qui était une perfection de relation – de relation avec Dieu, de relation avec la Création tout entière – cet ange-là, qui a choisi de ne pas servir, de ne pas aimer, est devenu le ‘diable’. Et ‘diable’ en grec vient de « diabolos » : c’est celui qui divise, ou même celui qui est divisé. Il est divisé ! Le projet de Dieu, c’est une unification, et lui, il est juste l’inverse.
II – Le tentateur
Ce diable, en choisissant de ne pas servir, en choisissant de refuser sa vocation, son appel, s’est coupé de la relation avec Dieu, il s’est coupé d’avec le reste de la création. Aujourd’hui, on pourrait presque le plaindre, le diable, parce qu’il est très seul et il en souffre. Il en souffre tellement, qu’il souhaite ne pas être le seul à souffrir. Et il veut entraîner d’autres créatures dans son malheur. Et lorsque nous avons été créés, nous l’avons été avec un esprit et un corps. Et cet ange de malheur, ce diable, s’est présenté auprès de nos grands-parents, arrière-grands-parents… Vous avez entendu, c’était la Première Lecture, ce récit de la tentation des origines. À l’homme, le serpent dit : alors comme ça, vous n’avez le droit de ne manger d’aucun des fruits des arbres du jardin ? Ce qui est un mensonge. Et la femme, qui l’entend, lui dit : si, on a le droit de manger les fruits des arbres du jardin, sauf de celui qui est au milieu. Et le serpent fait une promesse : si tu en manges, si vous en mangez, vous deviendrez comme des dieux.
Comme des dieux… C’est étonnant de voir comment on entre dans la tentation. « Elle s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder, qu’il était désirable, cet arbre, parce qu’il donnait la connaissance. » Vous deviendrez comme des dieux… C’est très dommage pour nous, parce que cette promesse du serpent, Dieu l’avait déjà donnée, en fait : à l’instant même de notre création, « Il nous a créés à Son image, à Son image Il nous a créés ». Donc, si nous sommes des images de Dieu, dans l’acte même de création, nous sommes déjà comme Dieu ! Nous avons cette capacité étonnante qui est d’aimer et de se laisser aimer. Mais voilà, quand le serpent le propose, il dit : vous allez devenir comme des dieux par votre propre volonté, par votre propre pouvoir, vous allez devenir tout-puissants. Et c’est toujours un chemin intéressant : nous n’aimons pas tellement dépendre des autres, nous n’aimons pas tellement dépendre de Dieu. Alors, nous entrons dans cette tentation : oui, je veux devenir comme Dieu et, comme ça, je suis au sommet. Alors que le projet de Dieu, c’est d’aimer et de se laisser aimer… C’est aimer, et cela signifie, entre autres, accepter de dépendre.
Cette entrée dans la tentation, on l’appelle ‘péché’ : c’est un mot intéressant, car étymologiquement il signifie « ce qui manque sa cible ». Au fond de nous, il y a la volonté du Bien et du plus grand Bien. Nous voulons le Bien en soi et le Bien pour nous. Et parfois, il y a un petit décalage entre ce qui est ‘bien’ et ce que nous savons ‘bien’ et ce que nous envisageons comme ‘bien immédiat’ pour nous, et nous avons une petite tendance à vouloir prendre ce qui nous est donné, alors qu’il faut le recevoir. Et, dès lors, nous manquons la cible ! Car Dieu veut, pour nous, la plus grande joie et le plus grand bonheur, mais, au lieu d’aller chercher notre plus grande joie et notre plus grand bonheur, nous allons chercher une toute petite joie et un tout petit bonheur. Et cela, ça ne nous comble pas, ça ne nous remplit pas le cœur, ça nous laisse en permanence insatisfaits, et il nous faut toujours plus et, là encore, dans la logique du « pour moi », une forme de convoitise… Ce petit plaisir, ce petit confort, cette petite richesse, maintenant, là, tout de suite, et tant pis pour le reste. Et nous passons à côté… C’est cela, le péché : quand nous manquons à l’amour, nous péchons. Oui, nous nous laissons attirer par de petits biens, ou de faux biens, qui nous font passer à côté du plus grand Bien.
Et c’est en nous comme une blessure. Aujourd’hui, il y a dans notre cœur une division. En fait, le diable a réussi son coup. Nous sommes toujours capables de discerner ce qui est bon de ce qui est mauvais, et nous avons une petite attirance pour de faux biens. Le terme technique, c’est ‘concupiscence’ : c’est un vieux mot pour évoquer une attirance, là, tout de suite, maintenant. Et, bien trop souvent cela nous blesse. Mais Dieu ne nous laisse pas tomber, face à cette division qui est dans notre cœur, face à cette division qui est entre nous, face à cette division qui est même dans la relation avec la Création tout entière ; c’est ce que nous voyons dans ce récit, lorsque Dieu va à la rencontre de l’homme, qui se cache. « Pourquoi te caches-tu ? dit Dieu, aurais-tu mangé du fruit dont je t’avais dit de ne pas manger ? » « J’ai eu peur, car je suis nu. » « Pourquoi as-tu peur ? Je t’aime » nous dit Dieu. Et l’homme : « J’ai mangé du fruit, mais ce n’est pas moi, c’est elle ». Et elle : « oui, j’ai mangé du fruit, mais ce n’est pas moi, c’est lui ». La relation avec Dieu est abîmée, la relation avec l’autre est abîmée, la relation avec la Création tout entière est abîmée. Et on en souffre encore aujourd’hui. Nous avons fait un choix libre, et nous avons manqué la cible…
III – Jésus, sauveur
Alors, Dieu ne se satisfait pas de notre échec, de notre division, et Il a établi une alliance avec un petit peuple, celui des Hébreux. Et Il lui a donné une bonne nouvelle : « je ne vous abandonne pas ». Ce petit peuple a vécu avec des choses belles, et d’autres moins belles. Il n’a pas toujours été à l’écoute de ce que lui disait le Seigneur Dieu. Alors Dieu ne s’est pas lassé, et Il est encore venu à nous, et c’est Jésus, qui vient réconcilier l’humanité tout entière avec Dieu, qui vient réconcilier les hommes avec les hommes, qui vient réconcilier les hommes avec la Création. C’est Jésus. Et là, au tout début de Son ministère, de Sa proclamation de la Bonne Nouvelle, – ‘Dieu nous aime’ ! Il ne se lasse pas de nous aimer -, Jésus va affronter le diable au désert. Jésus, Lui, est l’homme parfait, l’homme absolument unifié, Il est en paix avec Dieu, en paix avec les hommes, Il est en paix avec la Création, toutes les choses pour lui sont dans l’ordre. Et Il fait face au diviseur, au tentateur, au Satan (le « Satan » c’est l’accusateur). Et le Satan lui propose ces trois grandes tentations : la tentation des pains, celle sur le sommet du temple, sur la haute montagne, autrement dit la tentation du confort, de la facilité, du plaisir ; autrement dit la tentation de la gloire, de l’orgueil, en sautant du haut du temple et en étant retenu par les anges, forcément, ça attire l’attention ! Et la tentation de la toute-puissance, quand le monde entier se prosternera devant moi. À ces trois tentations, Jésus répond par la Parole de Dieu. Parce que Lui, Jésus est en paix avec le Père, Il est dans une relation parfaite, une relation filiale. Il accueille ce que dit Dieu, Il est ajusté à la volonté du Père. Oui, Jésus choisit ce que Dieu veut. Autrement dit, Il aime.
Nous sommes au début de ce Carême – c’est la conclusion – et nous sommes appelés à faire comme Jésus : à nous réconcilier avec Dieu, à nous réconcilier avec nos frères, à nous réconcilier avec la Création tout entière, à refuser les tentations que sont la tentation de domination, la tentation de l’orgueil, et la tentation du plaisir. Mais, on ne les refuse pas par masochisme, non, mais parce que c’est un chemin pour trouver la vraie joie et le vrai bonheur, le chemin de l’amour.
La chose qui est certaine, c’est que Dieu a déjà gagné. Dans quelques semaines, des petits enfants vont être baptisés. En faisant ce choix, vous décidez de laisser entrer la victoire de Dieu dans leurs vies, la victoire de l’amour ! Ah, ce n’est pas une victoire très impressionnante : la victoire du Christ, elle est sur la Croix ! Mais, nous le savons, c’est le chemin de la plus grande joie et du plus grand bonheur. Alors, en ce début du Carême, reprenons les mots de la première prière du matin pour les prêtres, les religieux et les religieuses : les yeux fixés sur Jésus-Christ, entrons dans le combat de Dieu !