Une morale chrétienne ?

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Homélie du 22e dimanche de temps ordinaire B
le 1er septembre 2024, par l’abbé Gaël de Breuvand

Quand nous prêchons, nous, prêtres, il nous arrive d’avoir des gens qui ne sont pas contents : le reproche qui revient souvent, c’est « mon père, vous avez beaucoup fait la morale ! ». Je suis le premier partisan du fait qu’une homélie n’est pas le lieu pour faire la morale. Pourtant, ce que je veux annoncer, moi, essentiellement, c’est Jésus, Jésus crucifié, comme saint Paul, Jésus qui est venu mourir pour nous donner Sa vie, pour nous sauver de nos péchés, pour nous ouvrir au vrai amour, à la vraie joie et au vrai bonheur.

I – Accueillir l’amour de Dieu

C’est ce que dit saint Jacques : les présents les meilleurs, les dons parfaits, proviennent tous d’en haut, ils descendent d’auprès du Père des Lumières. C’est Dieu Lui-même qui veut nous combler de Son amour, c’est Dieu Lui-même qui veut nous sauver. Nous ne sommes pas sauvés grâce à nous, nous ne méritons jamais d’être sauvés, nous ne sommes jamais à la hauteur de Dieu ; alors, c’est Dieu qui nous sauve. Mais quand on a dit cela, on pourrait tomber dans un travers du XVIIe siècle, qui était une erreur, qu’on appelle le quiétisme : en gros, quoique que je fasse [si je veux regarder Dieu], le Bon Dieu me sauvera ; donc je n’ai pas besoin de trop me bousculer. Dans les années 1980, un chanteur avait repris cette idée-là : « On ira tous au Paradis ! » On ira tous au Paradis, on n’aura rien à faire, cela sera hyper-confortable… Finalement on pourra se laisser caresser dans le sens du poil, laisser caresser notre paresse, laisser caresser nos tendances, comme les citait Jésus : « inconduite, vol, meurtre, adultère, cupidité, méchanceté, fraude. » On n’aura pas besoin de se forcer, de toute façon, on ira tous au Paradis…

Évidemment, cela ne marche pas, car Dieu nous aime vraiment, donc Il ne veut pas nous conduire à un endroit où nous ne voulons pas aller. Il ne veut pas nous conduire à un endroit, dans une situation, où nous ne mettons pas notre cœur. Il nous propose le plus grand amour : est-ce qu’il va nous forcer à aimer ? Bien sûr que non ! Parce qu’être ‘contraint’ à aimer, cela ne s’appelle plus de l’amour. Je ne sais pas comment cela s’appelle, d’ailleurs. L’amour, c’est forcément un choix, une décision, un acte libre. Et cet acte libre, Dieu ne nous y ‘contraint’ pas, Il nous y ‘appelle’, Il nous y ‘invite’, mais Il ne nous force pas.

II – Une morale chrétienne

Alors, concrètement, puisque Dieu vient à notre rencontre, qu’Il veut nous faire les plus beaux dons, les dons de Son amour, il va falloir que nous, nous mettions en place un art de vivre, autrement dit, une morale ; car art de vivre et morale, c’est la même chose. Un art de vivre chrétien, pour pouvoir accueillir vraiment ce don de Dieu, pour pouvoir aimer comme Dieu aime. Alors comment faire ? Tout est marqué : « accueillez dans la douceur la parole semée en vous, c’est elle qui peut sauver vos âmes. » C’est saint Jacques qui le dit. Pour être sauvé, il faut d’abord vouloir l’être : nous savons que c’est la parole de Dieu qui nous sauve, le Christ qui nous sauve, il s’agit de L’accueillir dans nos vies. C’est pour cela que l’on vient à la messe le dimanche, pour laisser au Seigneur un peu de place dans nos vies. Alors, une heure par semaine, c’est bien, c’est le minimum vital, en fait. L’Église le dit, pour survivre il faut rencontrer le Seigneur une fois par semaine à la messe. Puis, quand on creuse un petit peu, elle nous invite à Le rencontrer tous les jours, dans la prière. Et puis à ouvrir la parole de Dieu, la Bible, régulièrement. Et puis à prendre le temps de vivre d’autres sacrements, et notamment celui de la réconciliation.

En tout cas, « accueillez dans la douceur la parole semée en vous », c’est la première condition… mais est-elle suffisante ? Si je vous pose la question, c’est justement que non, elle n’est pas suffisante. Parce que, quel est le plus grand commandement ? « Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est UN, tu L’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit, et de toute ta force. Et le second, qui lui est semblable, Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». « Celui qui dit j’aime Dieu mais qui n’aime pas son frère, est un menteur ». C’est saint Jean qui nous dit cela. Celui qui dit : « j’aime mon frère, mais qui ne fait pas cas de Dieu » risque de se fatiguer, c’est trop dur d’aimer vraiment.

III – Tenir ensemble l’amour de Dieu et l’amour des frères

Dans l’évangile, les Pharisiens – c’est un courant juif qui a fait le choix dans les années 150 avant J.-C. de vivre et de tout donner à Dieu – ce sont ceux qui se sont séparés du monde pour être tout donnés à Dieu, parce que la racine du mot pharisien est « séparé ». On connaît leurs descendants, ils ont des chapeaux noirs et des papillotes. De fait, c’est courageux, c’est beau, mais Jésus, s’Il les secoue, s’il les rabroue, c’est parce qu’Il les aime, en fait. Oui, ils ont raison de vouloir se tourner pleinement et entièrement vers Dieu, ils ont raison ; mais on est humain et on a beaucoup de mal à tenir tout à la fois, et notre tentation, c’est de tenir d’un côté mais de lâcher de l’autre… Or, la vie chrétienne, la vie en Dieu, en amitié avec Jésus c’est de tout tenir.

On ne sait pas faire ? Eh bien, on se tourne vers le Christ, juste pour ça. Et, de fait, les Pharisiens se tournent vers Dieu : nous serons des étudiants méticuleux de la Parole de Dieu, nous allons prendre le temps de la prière, de nous tourner vers Dieu, nous irons au temple souvent. Vous vous rappelez la Parabole du Pharisien et du Publicain…. Mais du coup, on oublie la deuxième partie. « Écoute, Israël, le Seigneur est un, tu L’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » ET « tu aimeras ton prochain comme toi-même » : ils ont tendance à laisser tomber cette partie-là.

Le pharisianisme est un mouvement juif de consécration à Dieu qui est une bonne chose. Le pharisa-isme – on enlève le « n » – devient une tentation qui peut nous tomber tous sur le coin de la figure… Cette tentation-là se satisfait de cocher les cases. Parfois, on se satisfait du culte. Moi, je suis chrétien de culte, je vais à la messe de 9h30 à 10h30, cela me suffit, le reste du temps, je m’occupe de mon confort, de mon nombril… Cette tentation-là peut arriver, mais parfois on peut vouloir cocher les cases de la vie sociale : il faut que je fasse des choses qui me fassent bien voir : je coche la case, je suis dans l’association qui va bien, « Ouahou, il fait partie de cette association-là ! ». Mais, concrètement, oui dans cette association, je fais du bien, sans aucun doute, comme celui qui va au culte fait du bien, sans aucun doute ; mais si, en famille on est insupportable, cela ne marche pas. ! Il faut tout tenir… Alors là, le poids s’abat sur nos épaules, c’est trop dur. C’est vrai, vivre comme Jésus, être saint comme Jésus, cela nous dépasse, nous n‘y arriverons pas…pas tout seuls.

Jésus est là, Il se donne à nous. Qu’est-ce qu’il s’agit de faire ?  Demandons-Lui que nous gagnions en cohérence de vie, que nous soyons unifiés ; pour cela, il s’agit d’accueillir Sa parole « accueillez dans la douceur la parole semée en vous, c’est elle qui peut sauver vos âmes ». Accueillons cette parole, c’est le premier point, mettez la parole en pratique, ne vous contentez pas de L’écouter ; deuxième point. C’est difficile, oui, mais c’est possible, avec la grâce.

Nous sommes tous baptisés, cela veut dire que Dieu a établi une connexion par laquelle Il fait passer son amour. Et cet amour est une force. Cette force-là, il y a un moment où nous pouvons décider de la mettre en œuvre, parce qu’Il nous l’a donnée. Et en mettant cette force-là en nous, en déployant, en mettant en œuvre cette force-là, c’est l’amour qui grandit : et alors reste à la porte de notre cœur tout ce que Jésus décrit, ce qui est moche et mauvais reste dehors : « pensées perverses, inconduite, vol, meurtre, adultère, cupidité, méchanceté, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil, démesure ». On peut se poser la question parfois, la liste est importante, on se dit : nous, on ne fait jamais ça ! Mais posons-nous, réfléchissons : est-ce qu’on ne laisse pas de temps en temps un peu cela sortir de nos cœurs… Et comment lutter contre cela ? Eh bien, accueillons le don de Dieu, laissons-nous remplir de Son amour.