De la rencontre à l’Annonce

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Homélie du 3e dimanche de carême, Année A, 15 mars 2020
Par l’abbé Gaël de Breuvand

Depuis le 1er dimanche de carême, nous savons que la Parole de Dieu est nourriture : « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Et aujourd’hui, c’est une sacrée portion que nous avons reçue !

I – Rencontre nuptiale

Dans ce long évangile, nous assistons à une rencontre. Au bord d’un puits, près d’une source. Jésus est fatigué. Et chez saint Jean, qui insiste beaucoup pour la divinité du Christ, c’est important : ce Dieu qui vient nous visiter, qui vient « planter sa tente parmi nous », est pleinement un homme avec les limites de tout homme [sauf le péché].

Au bord de ce puits, nous assistons à un « mème » biblique (expression contemporaine qui désigne un comportement récurrent). Dans la Bible, lorsqu’un homme rencontre une femme au bord d’un puits, que cette femme lui offre à boire, c’est qu’il va y avoir un mariage. On assiste à cet évènement avec Isaac, avec Jacob, avec Moïse. Et aujourd’hui, c’est la rencontre entre Jésus et la samaritaine qui va donner lieu à un mariage… non pas selon le mode humain, mais à la mode de Dieu…
Car Dieu veut entrer dans une alliance nuptiale avec chacun de nous ! rappelez-vous : « heureux les invités au festin des noces de l’Agneau » ! Le Christ veut être notre époux… l’époux de chacun de nous… lui-répondrons-nous ?

C’est une rencontre très paradoxale : car habituellement les juifs et les samaritains ne se parlent même pas. L’histoire compliquée de la Terre Sainte et du retour d’exil ont créé une cassure de la relation entre juifs et samaritains, qui pourtant (au moins selon les samaritains) adorent le même Dieu. Jésus veut entrer en alliance nuptiale avec des gens en qui les juifs ne se reconnaissent aucune parenté ! Et la femme est bien représentative de son peuple : quand on voit la blessure du cœur de cette samaritaine… elle qui vient à la source en évitant toute interaction sociale, elle qui a eu 5 maris et qui vit avec un homme qui n’est pas son mari, elle qui porte en elle la blessure de la division entre samaritains et juifs. Et Jésus l’écoute, lui parle, lui redonne finalement la capacité d’entrer en relation. Après cette rencontre elle ira rejoindre son peuple !

II – Adorateurs

Voici que la samaritaine aborde la question de l’adoration (en grec : proskynesis). Adorer, classiquement, c’est d’abord une posture du corps. Se faire tout petit devant l’infiniment grand : à genoux, prosternés, il s’agit pour le croyant de reconnaitre la sainteté, la splendeur, l’immensité de Dieu. Par sa réponse, qui relativise le problème du lieu de l’adoration, sans pour autant la tenir pour sans importance, Jésus indique que ce qui compte le plus, c’est la disposition du cœur. Et, en Jésus, nous découvrons que l’adoration chrétienne dépasse largement l’adoration classique… Adorer Dieu en chrétien, c’est en plus avoir le cœur rempli d’action de grâce ! merci Seigneur, car tu m’as créé par amour, merci Seigneur car tu m’aimes, merci Seigneur car tu veux prendre soin de moi, merci Seigneur car tu me sauves. C’est bien le mouvement de l’Eucharistie (qui signifie justement bonne action de grâce).

« Le Père recherche des adorateurs en esprit et en vérité »… en fait, l’adorateur par excellence, c’est Jésus lui-même. Et lorsque nous sommes nourris de sa Parole, et de son corps, nous devenons – par sa grâce – adorateurs « par lui, avec lui, et en lui ».

III – Évangélisateurs

A l’issue de cette rencontre avec Jésus, la samaritaine, convaincue d’avoir rencontré le Messie attendu, rentre chez elle. Libérées de ses esclavages, elle témoigne. Ce passage est très intéressant : Jésus ne rentre d’abord pas dans le village, mais sa parole – elle – y rentre. Le témoignage de la samaritaine réveille l’intérêt, la curiosité, la soif des samaritains et ils se déplacent, sortent de leur train-train pour rencontrer ce Jésus ! Et ils reçoivent ensuite Jésus chez eux.

Et nous : savons-nous accueillir le témoignage du converti ? acceptons-nous de nous laisser déranger et de rechercher la source de sa joie ? Et même, puisque nous connaissons Jésus, ferons-nous le pas du témoignage ?

Jésus a pris de tout petit moyen : 12 hommes (pas tous brillants) quelques femmes, la croix… et à partir de cela il a changé le monde : aujourd’hui 2 milliards d’humains se reconnaissent dans le nom de Jésus. De nos jours, il y a dans notre société, dans notre communauté même, une forme de résignation : en voyant nos assemblées se réduire, on a tendance à croire que c’est inéluctable, que c’est foutu, que… à quoi bon donc…

Mais je crois que nous ne pouvons pas nous résigner : il nous faut témoigner ! et notre témoignage c’est d’abord d’avoir rencontré le Christ.
Et si je n’ai rien à dire, il me faut alors me replonger dans l’intimité avec Lui… car ce n’est que lorsque que nous sommes connectés à la Source que nous devenons nous-même source pour nos frères et sœurs !

Alors aimons-Le, laissons-nous aimer par Lui, Il veut nous combler de son Esprit. Aimons nos frères, laissons-nous aimer par eux, et ensemble – unis par Lui, avec Lui et en Lui – , nous pourrons être les adorateurs en esprit et en vérité que recherche le Père…

En ces temps d’épidémie, ou la vie devient à la fois plus compliquée et plus simple, recentrons-nous sur l’essentiel ! Le Christ nous appelle, il nous invite à une plus grande intimité, car vraiment, il veut être pour nous l’époux !